dimanche 12 mai 2013

Libéralisme Ch. 13 et 14


XIII

Notes et commentaires sur la doctrine exposée dans le chapitre précédent

Nous avons dit que les formes de gouvernement démocratiques ou populaires, pures ou mixtes, ne sont pas libérales de soi, ex se, et nous croyons l'avoir suffisamment démontré. Cependant, ce qui spéculativement ou abstraitement parlant est une vérité, ne l'est pas au même degré en pratique, c'est-à-dire dans l'ordre des faits que doit toujours et surtout avoir devant les yeux le polémiste catholique.
 

En effet, quoique considérées en elles-mêmes ces formes de gouvernement ne soient pas libérales, elles le sont dans notre siècle, étant donné que la révolution moderne, qui n'est pas autre chose que le libéralisme en action, ne nous les présente que basées sur ses doctrines erronées. Aussi le vulgaire, qui n'est pas fort en distinctions, qualifie-t-il très sagement de libéralisme tout ce qui de nos jours se présente comme réforme démocratique dans le gouvernement des nations ; parce que, s'il ne l'est pas au point de vue de l'essence même des idées, il l'est de fait. Voilà pourquoi nos pères montraient un grand tact et une singulière prudence quand ils repoussaient, comme contraire à leur foi, la forme de gouvernement constitutionnelle ou représentative, et lui préféraient la monarchie pure, qui dans ces derniers siècles était le gouvernement de l'Espagne. Un certain instinct naturel faisait comprendre aux moins avisés que les nouvelles formes politiques, si inoffensives qu'elles fussent en elles-mêmes, en tant que formes, leur venaient imprégnées du principe hérétique libéral, raison pour laquelle ils faisaient très bien de les appeler libérales. Par ailleurs la monarchie pure qui de soi pouvait être très impie et même hérétique, leur apparaissait comme forme de gouvernement essentiellement catholique, parce que, depuis de longs siècles, les peuples ne l'avaient connue qu'imbue de l'esprit du catholicisme.
 

Idéologiquement parlant, nos royalistes se trompaient donc quand ils identifiaient la religion avec l'antique régime politique, et réputaient impies les régimes constitutionnels ; mais ils touchaient juste, pratiquement parlant, parce que, à la clarté de leur foi, ils voyaient l'idée libérale cachée sous ce qu'on leur présentait comme une pure forme politique indifférente.
 

Au reste, les coryphées et les sectaires du parti libéral firent par leurs blasphèmes et leurs attentats tout leur possible pour que le véritable peuple ne méconnût pas quelle était au fond la signification de leur odieux drapeau.
 

Il n'est pas non plus rigoureusement exact que les formes politiques soient indifférentes à la religion, quoiqu'elle les admette toutes. La saine philosophie les étudie, les analyse, et sans en condamner aucune, ne laisse point toutefois de manifester sa préférence pour celles qui sauvegardent le mieux le principe d'autorité basé spécialement sur l'unité ; ce qui revient à dire que la monarchie est de toutes les formes de gouvernement la plus parfaite, parce que, plus que toute autre, elle se rapproche du gouvernement de Dieu et de l'Église ; de même que la plus imparfaite est la république, pour la raison contraire. La monarchie n'exige la vertu que d'un seul homme, la république l'exige de la majorité des citoyens. Il est donc, logiquement parlant, plus difficile de réaliser l'idéal républicain que l'idéal monarchique. Ce dernier est plus humain que le premier, parce qu'il exige moins de perfection humaine, et s'accommode davantage à l'ignorance et aux vices du grand nombre.
 

Mais de toutes les raisons qui doivent tenir le catholique de notre temps en garde contre les gouvernements de forme populaire, la plus forte doit être l'empressement que la franc-maçonnerie a mis toujours et partout à les établir. Avec une intuition merveilleuse, l'enfer a reconnu que ces systèmes de gouvernement étaient les meilleurs conducteurs de son électricité, et qu'aucun autre ne pouvait mieux le servir à souhait. Il est donc hors de doute qu'un catholique doit tenir pour suspect tout ce que sous ce rapport la révolution lui recommande comme mieux approprié à ses fins, et, partant, considérer comme libéralisme véritable tout ce qu'elle vante et recommande sous le nom de libéralisme, bien qu'il ne soit question que de formes ; car dans ce cas, les formes ne sont autre chose que le vase ou l'enveloppe dont on se sert pour faire pénétrer jusqu'à lui la contrebande de Satan.
 

XIV

Ceci posé, est-il oui ou non permis à un bon catholique de prendre en bonne part le mot libéralisme, et peut-il se glorifier d'être libéral ?

 

Nous demandons la permission de transcrire intégralement ici un chapitre d'un autre de nos opuscules (Choses du jour), car il répond aux questions posées en tête de cette page :
 

« Que Dieu me vienne en aide, cher lecteur, avec ces grands mots de libéralisme et de libéral ! Vous en êtes véritablement épris, et l'amour vous a rendu aveugle comme tous les amoureux. Quels inconvénients peut bien avoir, me demanderez-vous, l'usage de ces mots ? Il en a tant, à mon point de vue, que je vais jusqu'à y trouver matière de péché ! Ne vous effrayez pas, mais écoutez-moi patiemment ; vous me comprendrez vite et sans difficulté. Il est bien certain que le mot libéralisme signifie en Europe, dans le siècle présent, une chose suspecte qui n'est pas entièrement d'accord avec le vrai catholicisme. Ne me dites pas que je pose le problème en termes exagérés. Vous devez, en effet, m'accorder que, dans l'acception ordinaire du mot, libéralisme et libéralisme catholique sont des choses réprouvées par Pie IX. Laissons de côté pour le moment ceux qui en plus ou moins grand nombre, prétendent pouvoir continuer à professer un certain libéralisme, qu'au fond ils ne veulent pas reconnaître pour tel. Mais ce qui est incontestable, c'est que le courant libéral en Europe et en Amérique au moment où nous écrivons, est anticatholique et rationaliste. Passez le monde en revue: voyez ce que signifie parti libéral en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, en Hollande, en Autriche, en Italie, dans les républiques hispano-américaines, et dans les neuf dixièmes de la presse espagnole. Demandez à tous ce que signifie en langage ordinaire ‘’critère libéral, courant libéral, atmosphère libérale,’’ etc, etc ; voyez, si parmi les hommes qui se vouent aux études politiques et sociales en Europe et en Amérique, quatre-vingt-dix-neuf pour cent n'entendent pas par libéralisme le pur et franc rationalisme appliqué à la science sociale.
 

«En vain maintenant vous et quelques douzaines de personnes vous obstinez à donner un sens de chose indifférente à ce que le courant général a marqué de son sceau comme chose anticatholique : il n'en est pas moins certain que l'usage, arbitre et juge suprême en matière de langage, persiste à tenir le libéralisme pour un drapeau dressé contre le catholicisme. Par conséquent, quoiqu'au moyen de mille distinctions, exceptions et subtilités, vous arriviez à former pour vous seul un libéralisme qui n'ait rien de contraire à la foi, dans l'opinion du grand nombre, dès que vous vous appelez libéral, vous appartenez comme tous les autres libéraux à la grande famille du libéralisme européen, tel que tout le monde le comprend. Votre journal, si vous le rédigez comme libéral et que vous lui donniez ce nom, sera dans l'opinion générale un soldat de plus parmi ceux qui, sous cette devise, combattent l'Église catholique de front ou de flanc. Vainement vous vous en excuserez quelquefois : ces excuses et ces explications, vous ne pouvez les donner tous les jours ; ce serait par trop ennuyeux. En revanche, vous devez vous servir à chacun de vos paragraphes du mot libéral. Vous ne serez donc, dans la commune créance, qu'un soldat de plus, militant comme tant d'autres sous cette devise, et lors même que, en votre intérieur, vous seriez aussi catholique que le Pape (ainsi que se vantent de l'être certains libéraux), il est hors de doute que vous influerez, non comme catholique, mais comme libéral sur le mouvement des idées et sur la marche des événements ; et même malgré vous, vous serez un satellite, forcé de vous mouvoir dans l'orbite général que décrit le libéralisme. Et tout cela à propos d'un mot ! D'un simple mot ! Oui, mon ami, c'est là ce que vous gagnerez à vous appeler libéral et à qualifier votre journal de libéral. Point d'illusion ! L'usage de ce mot vous rend presque toujours et pour une grande part solidaire de tout ce qui s'abrite à son ombre. Or, ce que son ombre abrite vous le voyez et n'avez pu le nier : c'est le courant rationaliste. Cela étant, à votre place, je me ferais un cas de conscience d'accepter cette solidarité avec les ennemis de Jésus-Christ.
 

« Passons à une autre réflexion :
 

« Il est aussi impossible de mettre en doute que, parmi ceux qui lisent vos journaux et entendent vos conversations, peu sont en état de subtiliser comme vous le faites dans vos distinctions entre libéralisme et libéralisme. Il est donc évident que le plus grand nombre prendra ce terme dans le sens général et croira que vous l'employez ainsi. Sans en avoir l'intention, et même à l'encontre de vos intentions, vous obtiendrez le résultat suivant : procurer des adeptes à l'erreur rationaliste.
 

« Et maintenant, dites-moi, savez-vous ce que c'est que le scandale ? Savez-vous ce que c'est qu'induire le prochain en erreur par des paroles ambiguës ? Savez-vous ce que c'est que semer le doute, la méfiance et d'ébranler la foi des simples par attachement plus ou moins justifié à un mot ? Quant à moi, en ma qualité de moraliste catholique, je vois en cela matière à péché, et si vous n'avez pas l'excuse d'une souveraine bonne foi ou de quelqu'autre circonstance atténuante, matière à péché mortel.
 

« Écoutez cette comparaison :
 

« Vous savez que de nos jours a pris naissance une secte qui s'appelle : la Secte des vieux catholiques. Elle a eu la fantaisie de se donner elle-même ce nom : laissons-la faire. Supposons maintenant que moi, par exemple, qui suis, par la grâce de Dieu et quoique pécheur, catholique, et un des plus vieux par-dessus le marché, puisque mon catholicisme date du calvaire et du Cénacle de Jérusalem, toutes choses qui remontent très loin, supposons, dis-je, que je fonde un journal plus ou moins équivoque et que je l'intitule : Journal vieux catholique, ce titre sera-t-il un mensonge ? Non : car je suis un vieux catholique, dans la bonne acception du terme. Mais, m'objecterez-vous, pourquoi adopter ce titre mal sonnant qui est la devise d'un schisme ? Il donnera occasion aux esprits peu attentifs de croire que vous êtes schismatique, et aux vieux catholiques allemands d'entrer en liesse, persuadés qu'il leur est né un nouveau confrère. Pourquoi scandaliser ainsi les simples ? - J'use de cette expression dans le bon sens ! - Soit : mais ne vaudrait-il pas mieux éviter de faire croire que vous l'employez dans le mauvais ?
 

« Voilà le langage que je tiendrais à quiconque s'obstinerait à considérer encore comme inoffensif le titre de libéral, réprouvé par le Pape, et cause de scandale pour les vrais croyants. Pourquoi se parer de titres qui exigent des explications ? Pourquoi exciter des soupçons qu'il faudra se hâter de dissiper ? Pourquoi prendre rang parmi les ennemis et arborer leur devise si dans le fond on est du nombre des amis ?
 

« Vous dites que les mots n'ont pas d'importance ! Ils en ont bien plus que vous ne vous l'imaginez, mon ami. Les mots sont la physionomie extérieure des idées, et vous n'ignorez pas combien la bonne ou la mauvaise physionomie d'une affaire importe à son succès. Si les mots n'avaient aucune importance, les révolutionnaires ne s'en serviraient pas avec un si grand soin pour travestir le catholicisme, ils ne l'appelleraient pas à toute heure obscurantisme, fanatisme, théocratie, réaction : ils l'appelleraient tout simplement catholicisme, et eux-mêmes ne s'enguirlanderaient pas à chaque instant des vocables flatteurs de liberté, de progrès, d'esprit du siècle, de droit nouveau, de conquête intellectuelle, de civilisation, de lumière, etc., etc. Ils s'intituleraient toujours en usant de leur véritable nom : Révolution.
 

« Il en a de tout temps été ainsi, toutes les hérésies ont commencé par être de simples jeux de mots et ont fini par devenir de sanglantes luttes d'idées. Quelque chose de semblable dut avoir lieu au temps de saint Paul, ou bien le grand Apôtre en a eu l'intuition pour l'avenir lorsque, s'adressant à Timothée (1 Tim., 6, 20), il l'exhorte à se tenir en garde non seulement contre la fausse science (oppositiones falsi nominis scientiæ), mais encore contre la simple nouveauté dans les expressions (profanas vocum novitates). Que dirait aujourd'hui le docteur des nations s'il voyait des catholiques se décorer de l'épithète de libéraux en opposition avec les catholiques qui portent purement et simplement l'antique nom de famille et rester sourds aux réprobations tant de fois répétées, qu'a lancées avec tant d'insistance la chaire apostolique, contre cette nouveauté profane ? Que dirait-il les voyant ajouter à l'immuable expression de catholicisme, cet odieux appendice que n'ont connu ni Jésus-Christ, ni les Apôtres, ni les Pères, ni les Docteurs, ni aucun des Maîtres autorisés qui forment la magnifique chaîne de la tradition chrétienne ?
 

« Méditez tout cela, dans vos moments lucides, si tant est que l'aveuglement de votre passion vous en ménage quelques-uns, et vous reconnaîtrez la gravité de ce qui à première vue vous paraît n'être qu'une question de mots. Non, vous ne pouvez être catholique libre, vous ne pouvez porter ce nom réprouvé, quoique, à l'aide de sophismes subtils, vous parveniez à découvrir un moyen secret de le concilier avec l'intégrité de la foi. Non, la charité chrétienne vous le défend, cette sainte charité que vous invoquez à toute heure, et qui, si je comprends bien, est pour vous synonyme de tolérance révolutionnaire.
 

« La charité vous le défend, parce que la première condition de la charité est de ne point trahir la vérité, de ne pas être un piège destiné à surprendre la bonne foi des moins avisés de vos frères. Non, mon ami, non, il ne vous est point permis de vous appeler libéral ».
 

Nous n'avons plus rien à dire sur ce point, il est résolu pour tout homme de bonne foi.
 

Au surplus, les libéraux eux-mêmes emploient plus rarement aujourd'hui qu'autrefois ce qualificatif de libéral, tant il est usé et discrédité par la miséricorde de Dieu. Ce qu'on rencontre plus fréquemment ce sont des hommes qui, tout en reniant à chaque jour et à chaque heure le libéralisme, en sont imbus jusqu'à la moelle des os et ne savent écrire, parler, agir que sous son inspiration : ces hommes-là sont, de nos jours, les plus à craindre.

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