samedi 1 juin 2013

Libéralisme Ch. 19 et 20

XIX
Principales règles de prudence chrétienne que doit observer tout bon catholique dans ses rapports avec les libéraux
Ne vous y trompez pas cependant, ô lecteurs ! Il faut, au siècle où nous sommes, vivre avec les libéraux exaltés, les libéraux modérés et les catholiques misérablement entachés de libéralisme.

Ainsi vécurent les catholiques avec les ariens au quatrième siècle, avec les pélagiens au cinquième, avec les jansénistes au dix-septième. Il est impossible de ne pas avoir quelques relations avec eux, parce qu'on les rencontre partout ; dans les affaires, dans les plaisirs, dans les visites, jusque dans les églises et même parfois dans la famille. Comment donc se comportera le bon catholique dans ses relations avec de pareils pestiférés ? Comment parviendra-t-il à prévenir, éviter ou tout au moins à diminuer, les risques continuels d'infection qu'il court ?

Il est extrêmement difficile d'indiquer des règles précises pour chaque cas, mais on peut donner les maximes générales de conduite, et laisser à la prudence de chacun le soin de les appliquer en ce qui le concerne individuellement.

Il nous semble, que tout d'abord, il convient de distinguer trois classes de relations possibles entre un catholique et le libéralisme, ou mieux entre un catholique et un libéral.

Nous nous exprimons ainsi, parce que, dans la pratique, les idées ne peuvent se considérer comme séparées des personnes qui les professent et les soutiennent. Le libéralisme idéologique réel et pratique réside dans les institutions, les personnes, les livres et les journaux libéraux. Eh bien donc, on peut supposer trois classes de relations entre un catholique et un libéral :

1) Relations nécessaires,
2) Relations utiles,
3) Relations de pure affection et de plaisir.

Relations nécessaires. - Les relations nécessaires sont imposées à chacun par son état et sa position particulière : elles ne peuvent s'éviter.

Telles sont celles qui doivent exister entre père et fils, mari et femme, frères et sœurs, inférieurs et supérieurs, maîtres et domestiques, disciples et professeurs.

Il est évident que, si un fils bien pensant a le malheur d'avoir un père libéral, il ne doit pas l'abandonner pour cela, ni la femme son mari ni le frère sa sœur, ni le parent un membre de sa famille, le cas excepté pourtant, où le libéralisme de ces personnes en arriverait à exiger de leurs inférieurs respectifs des actes essentiellement contraires à la religion, les induisant à l'apostasie formelle ; il ne suffirait pas qu'il entravât seulement leur liberté dans l'accomplissement des préceptes de l'Église. On sait que l'Église n'entend jamais obliger les personnes dont il s'agit ici sub gravi incommodo.

En tous ces cas le catholique doit supporter avec patience sa situation pénible et s'entourer de toutes les précautions en son pouvoir pour éviter la contagion du mauvais exemple. Comme tous les traités de l'occasion prochaine et nécessaire le conseillent, il doit tenir son cœur élevé vers Dieu, prier chaque jour pour son propre salut et pour les malheureuses victimes de l'erreur, fuir autant que possible les conversations et les discussions sur ces matières, et ne les accepter que bien pourvu d'armes offensives et défensives. Ces armes lui seront fournies par la lecture des livres et des journaux jugés bons par un directeur prudent. Contrebalancer l'influence des personnes infectées de ces erreurs par la fréquentation d'autres personnes de science et d'autorité, en possession constatée de la saine doctrine, obéir à son supérieur en tout ce qui ne s'oppose pas à la foi et à la morale catholique, mais renouveler souvent le ferme propos de refuser l'obéissance à qui que ce soit, en tout ce qui directement ou indirectement serait en opposition avec l'intégrité du catholicisme. Dans une semblable occurrence, il ne faut point perdre courage : Dieu qui nous voit soutenir la lutte ne nous refusera pas les secours dont nous aurons besoin.

Il est à propos de constater ici que les bons catholiques appartenant à des pays libéraux et à des familles libérales, se distinguent, quand ils sont véritablement bons, par une vigueur et une trempe d'esprit particulières. Telle est la façon constante dont la grâce procède, son aide est d'autant plus puissante que la nécessité est plus urgente.

Relations utiles. - Il y a d'autres relations qui ne sont pas absolument indispensables mais qui le sont moralement parce que, sans elles, la vie sociale, qui repose sur un échange mutuel de services, est presque impossible. Telles sont les relations de commerce, celles du patron et de l'ouvrier, de l'artisan et de ses clients, etc., etc. Mais ici, l'étroite sujétion dont nous avons parlé plus haut n'existe pas ; par conséquent, on peut agir avec plus d'indépendance. La règle fondamentale est de ne pas entrer en contact avec de telles gens plus que ne l'exige l'engrenage de la machine sociale. Si vous êtes commerçant, n'ayez avec eux d'autres relations que celles que comporte le commerce ; si vous êtes domestique, bornez-vous à celles que le service exige ; si vous êtes artisan, contentez-vous du livré et du reçu que votre métier nécessite. A l'aide de cette règle et pourvu que l'on tienne compte des précautions recommandées précédemment, on peut vivre sans dommage pour sa foi, même au milieu d'une population de juifs, sans toutefois oublier que, dans ce cas-ci, il ne peut y avoir aucune raison de vasselage et que l'indépendance catholique a le devoir de se manifester souvent pour imposer le respect à ceux qui prétendent l'annihiler avec leur libéralisme éhonté. Cependant, si le cas d'un arbitraire évident se présentait, il faudrait le désavouer en toute franchise, et se dresser en face du sectaire qui voudrait l'imposer, avec toute la noble et ferme simplicité d'un disciple de la foi.

Relations de pure amitié. - Ce sont celles que nous nouons et entretenons par goût et inclination et que nous pouvons rompre librement par le seul fait de le vouloir. Nous devons éviter toute relation de ce genre avec les libéraux, comme autant de dangers certains pour notre salut. La parole du Sauveur qui aime le danger y périra a sa place toute marquée ici. Il en coûte ? Qu'importe, il faut rompre le lien dangereux qui met en péril ; et pour y parvenir aidons-nous des considérations suivantes qui sans doute produiront en nous la conviction, et à son défaut la confusion. Si cette personne était attaquée d'un mal contagieux, la fréquenteriez-vous ? Assurément non. Si vos relations avec elles compromettaient votre réputation, les continueriez-vous ? Pas davantage. Iriez-vous la visiter si elle méprisait votre famille ? Non, certainement. Eh bien ! dans cette question qui touche à l'honneur de Dieu et à notre santé spirituelle, faisons ce que la prudence humaine nous conseille de faire pour notre intérêt matériel et notre honneur humain.

Nous nous souvenons, à ce propos, d'avoir entendu dire à un personnage aujourd'hui très haut placé dans l'Église : « Rien de commun avec les libéraux ! Ne fréquentez pas leur maison, ne cultivez pas leur amitié. » L'Apôtre saint Paul l'avait déjà dit, du reste, de leurs congénères : « Ne vous mêlez pas à eux. Ne conmisceamini » « Ne vous asseyez même pas à leur table. Cum ejusmodi nec cibum sumere ».

Horreur donc, ayez horreur de l'hérésie, de ce mal au-dessus de tout mal !

La première chose à faire dans un pays infecté par la peste, c'est de s'isoler. Ah ! qui nous donnera le pouvoir d'établir aujourd'hui un cordon sanitaire absolu entre les catholiques et les sectaires du libéralisme !

XX
Combien il est nécessaire de se précautionner contre les lectures libérales
S’il convient d'observer envers les personnes la conduite que nous avons indiquée, il importe encore davantage, ce qui est heureusement beaucoup plus facile, de l'observer pour les lectures.

Le libéralisme est un système comme le catholicisme, quoiqu'en sens contraire. Il a par conséquent ses arts, ses sciences, sa littérature, son économie, sa morale, c'est-à-dire un organisme entièrement propre, animé de son esprit, marqué de son sceau et de sa physionomie. Les plus puissantes hérésies, par exemple l'arianisme dans l'antiquité, et le jansénisme dans les siècles modernes, présentaient la même particularité.

Il existe donc, non seulement des journaux libéraux, mais des livres libéraux, ou teintés de libéralisme ; ils abondent même et il est triste d'avoir à le dire : la génération actuelle s'en nourrit principalement, et c'est pour cette raison que, sans le savoir et sans s'en douter, tant de personnes sont misérablement victimes de la contagion.

Quelles règles tracer pour ce cas ? Des règles analogues ou presqu'identiques à celles que nous avons indiquées pour les personnes. Relisez ce qui a été dit, il n'y a qu'un instant, relativement aux individus, et appliquez-le aux livres. Ce n'est point là un travail difficile, et il aura l'avantage d'éviter à nos lecteurs ainsi qu'à nous-mêmes l'ennui des répétitions.

Nous nous bornerons ici à une seule recommandation, qui du reste se rapporte spécialement à la question des livres. C'est que nous devons nous garder de nous répandre en éloges sur les livres libéraux, quel que puisse être leur mérite scientifique ou littéraire, à moins que ces éloges ne soient accompagnés de grandes réserves et ne tiennent compte de la réprobation qu'ils méritent pour leur esprit et leur saveur libérale.

Appesantissons-nous un peu sur ce point. Beaucoup de catholiques, par trop naïfs (même dans le journalisme catholique), veulent être tenus pour impartiaux, et se donner un vernis de savoir toujours flatteur. Aussi battent-ils la grosse caisse, et soufflent-ils dans la trompette de la renommée en faveur de n'importe quelle œuvre scientifique ou littéraire qui vient du camp libéral. En agissant ainsi, ils espèrent prouver qu'il n'en coûte pas aux catholiques de reconnaître le mérite partout où il se trouve, c'est, leur semble-t-il, un moyen d'attirer à soi l'ennemi ; malheureux système d'attraction qui nous fait jouer à qui perd gagne, puisqu'insensiblement c'est nous qui sommes attirés. C'est enfin, sans s'exposer à aucun péril, faire preuve d'un remarquable esprit d'équité.

Quelle peine nous avons ressentie, il y a quelques mois, en lisant, dans un journal catholique fervent, éloges sur éloges d'un poète célèbre, qui en haine de l'Église a écrit des poèmes tels que : La vision de frère Martin, et La dernière lamentation de lord Byron ! Qu'importe que son mérite littéraire soit grand ou non, s'il sert à perdre les âmes que nous devons sauver ? Autant vaudrait savoir gré au bandit du brillant de l'épée avec laquelle il nous assaille, ou des damasquinures qui ornent le fusil avec lequel il tire sur nous. L'hérésie enveloppée des charmes artificieux d'une riche poésie est mille fois plus dangereuse que l'hérésie revêtue de syllogismes scolastiques, arides et fastidieux. L'histoire nous l'apprend : la grande propagande hérétique de presque tous les siècles a été puissamment aidée par des vers sonores. Les ariens eurent leurs poètes de propagande ; les luthériens en eurent aussi, parmi lesquels beaucoup, avec leur Erasme, se vantaient d'être d'élégants humanistes. Quant à l'école janséniste, d'Arnauld, de Nicole et de Pascal, pas n'est besoin de dire qu'elle fut essentiellement littéraire. Chacun sait à quoi Voltaire a dû le commencement et la durée de son effrayante popularité. Comment serait-il donc possible que nous, catholiques, nous nous fissions les complices de ces sirènes de l'enfer ? Quoi ! nous contribuerions à leur donner nom et renommée ! Nous les aiderions à fasciner et à corrompre la jeunesse ! Celui qui lit dans nos journaux que tel ou tel poète est un admirable poète, quoique libéral, court chez le libraire, achète les productions de ce poète admirable, quoique libéral ; il les dévore avidement, quoique libéral, il se les assimile au point de s'empoisonner tout le sang et finalement il devient aussi libéral que son poète favori. Que d'intelligences et de cœurs ont été perdus par le malheureux Espronceda ! Combien par l'impie Larra ! Combien presque de nos jours par le déplorable Becquet ! Sans parler des vivants, si facile qu'il nous fût, hélas ! de les citer par douzaines. Pourquoi rendre à la Révolution le service de prôner ses gloires funestes ? Dans quel but ? Pour paraître impartial ? Non, l'impartialité n'est point permise quand elle tourne à l'offense de la vérité dont les droits sont imprescriptibles. Une femme de mauvaise vie est infâme si belle qu'elle soit, et elle est d'autant plus dangereuse qu'elle est plus belle. Serait-ce par gratitude ? Non, car les libéraux, plus prudents que nous, ne recommandent pas nos œuvres, quoiqu'elles soient, au point de vue du beau, aussi remarquables que les leurs.

Au contraire, ils ne cherchent qu'à les discréditer par la critique, ou à les enterrer par le silence.

Saint Ignace de Loyola, d'après ce que raconte son illustre historien, le P. Ribadaneyra, était si sévère en ce point, qu'il n'autorisa jamais dans ses classes l'explication d'aucune des œuvres d'Erasme de Rotterdam, le fameux humaniste de son temps. Il en donnait pour raison que, si un grand nombre des écrits élégants de cet auteur ne traitaient pas de religion, la majeure partie d'entre eux avaient une saveur protestante.

Nous intercalerons ici un magnifique fragment du P. Faber (qu'on n'accusera pas d'être illettré) au sujet de ses deux illustres compatriotes Milton et Byron.

Le grand écrivain anglais s'exprime ainsi dans une de ses lettres : « Je ne puis m'expliquer cette étrange anomalie des gens du monde qui citent, avec éloge, des hommes comme Milton et Byron, tout en témoignant qu'ils aiment le Christ, et placent en lui toutes leurs espérances de salut. Si on aime le Christ et l'Église, pourquoi donc louer en société ceux qui blasphèment l'un et l'autre ? On parle, on tonne contre l'impureté si odieuse aux yeux de Dieu, et l'on exalte un auteur dont la vie et les œuvres sont saturées de ce vice. Je ne puis pas comprendre cette distinction entre l'homme et le poète, entre les passages purs et les passages impurs. Si quelqu'un insulte l'objet de mon amour, il m'est impossible de recevoir de lui ni consolation, ni plaisir, et je ne puis pas concevoir qu'un amour ardent et délicat pour Notre-Seigneur se complaise dans les œuvres de ses ennemis. L'intelligence admet des distinctions, le cœur n'en admet pas. Milton (maudite soit la mémoire du blasphémateur!) passa une grande partie de sa vie à écrire contre la divinité de mon Sauveur, mon unique espérance et mon unique amour. Cette pensée m'exaspère ! Byron, foulant aux pieds les devoirs du patriote et toutes les affections naturelles, s'abaissa honteusement jusqu'à revêtir le crime et l'incrédulité d'une somptueuse parure de vers. Le monstre qui plaça (oserai-je l'écrire ?) Jésus-Christ au niveau de Jupiter et de Mahomet, n'est pour moi qu'une ‘’bête féroce’’, même dans ses passages les plus purs, et jamais je ne me suis repenti d'avoir jeté au feu une superbe édition de ses œuvres en quatre volumes, pendant que j'étais à Oxford. L'Angleterre n'a pas besoin de Milton ! Et comment mon pays aurait-il besoin d'une politique, d'un mérite, d'un talent ou de tout autre chose maudite de Dieu ? Comment le Père éternel bénirait-il l'esprit et l'œuvre de celui qui a renié, ridiculisé et blasphémé la divinité de son Fils ? Si quis non amat Dominum Nostrum jesum Christum, sit anathema, ainsi parlait saint Paul.»

Voilà en quels termes s'exprimait l'illustre catholique anglais qui est une des plus grandes figures littéraires de l'Angleterre moderne, et il est bon de noter ici que le passage cité fut écrit avant l'abjuration complète du P. Faber. C'est ainsi que toujours s'exprimèrent la saine intransigeance catholique, et le vrai sens de la foi.
Je suis confondu quand je pense au nombre de discussions et de polémiques qui ont eu lieu sur la question de savoir si l'éducation classique basée sur l'étude des auteurs grecs et latins, atténuée dans ses effets par la distance des siècles, la différence des idées et la diversité des langues, convenait oui ou non à la jeunesse, tandis que presque rien n'a encore été écrit sur le venin mortel de l'éducation révolutionnaire, que beaucoup de catholiques donnent ou laissent donner sans scrupule à leurs enfants.

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