mardi 16 juillet 2013

Libéralisme Ch. 29 et 30


XXIX

Quelle conduite doit observer le bon catholique avec les ministres de Dieu ainsi infectés de libéralisme ?

Voilà qui est bien, dira quelqu'un. Tout ceci est très facile à comprendre, et il suffit d'avoir quelque peu feuilleté l'histoire pour s'en convaincre. Mais, le côté délicat et épineux est de tracer la conduite que doit tenir avec les ecclésiastiques dévoyés, le fidèle laïque, aussi saintement jaloux de la pureté de sa foi que des droits légitimes de l'autorité.

Il est indispensable ici d'établir diverses distinctions et classifications et de répondre différemment à chacune d'elles.

1° - Il peut arriver qu'un ministre de l'Église soit publiquement condamné par elle comme libéral; dans ce cas il suffira de se souvenir que tout fidèle ecclésiastique ou laïque que l'Église sépare de son sein, cesse d'être catholique quant au droit d'être tenu pour tel, tant que, par une véritable rétractation et un formel repentir, il ne s'est pas fait réintégrer dans la communion des fidèles. Lorsqu'il en est ainsi d'un ministre de l'Église, c'est un loup ; il cesse d'être un pasteur et même une brebis. Il faut l'éviter, et surtout prier pour lui.

2° - Il peut se présenter le cas d'un ministre tombé dans l'hérésie sans être officiellement déclaré coupable par l'Église, il convient alors d'user d'une grande circonspection. Un ministre de l'Église, tombé dans une erreur contre la foi ne peut être officiellement discrédité que par le chef hiérarchique, ayant juridiction sur lui. Toutefois, sur le terrain de la polémique purement scientifique, on peut l'attaquer pour ses erreurs et l'en convaincre, laissant toujours le dernier mot ou la sentence définitive à l'autorité seule infaillible du maître universel. La grande règle, la seule règle en ces matières, dirions-nous volontiers, c'est la pratique constante de l'Église de Dieu, suivant cet adage d'u saint Père. Quod semper, quod ubique, quod ab omnibus. Eh bien ! Voici comment l'on a toujours procédé dans l'Église de Dieu. De simples fidèles ont remarqué chez un ecclésiastique des doctrines opposées à celles communément enseignées comme exclusivement bonnes et vraies ; contre elles ils ont poussé le cri d'alarme dans leurs livres, de vive voix et dans leurs brochures, réclamant ainsi du magistère infaillible de Rome la sentence décisive. Ce sont les aboiements du chien qui avertissent le berger. A peine s'il y a eu dans le catholicisme une hérésie qui n'ait point été démasquée et confondue tout d'abord de cette façon.

3° - Le cas peut se présenter où le malheureux dévoyé soit un ministre de l'Église auquel nous sommes particulièrement subordonnés. Il est nécessaire alors de procéder avec plus de mesure et de discrétion encore. Il faut respecter en lui l'autorité divine jusqu'à ce que l'Église l'en déclare dépouiller. Si l'erreur est douteuse, il faut appeler sur elle l'attention des supérieurs immédiats, afin qu'ils demandent à celui qui en est soupçonné des explications nettes et claires. L'erreur est-elle évidente, il n'est pas néanmoins permis de se mettre immédiatement en révolte ouverte, et il faut se contenter d'une résistance passive à cette autorité, sur les points où elle se met manifestement en contradiction avec les doctrines reconnues pour saines dans l'Église. On doit conserver pour elle le respect extérieur qui lui est dû, lui obéir en tout ce qui n'est pas d'un enseignement condamné ni nuisible ; et lui résister pacifiquement et respectueusement en tout ce qui s'écarte du sentiment commun catholique.

4° - Il peut encore arriver (c'est le cas le plus fréquent), que l'erreur d'un ministre de l'Église porte moins sur des points de la doctrine catholique, que sur certaines appréciations de faits et de personnes ; appréciations plus ou moins liées avec elle. Dans ce cas, la prudence chrétienne conseille de tenir en prévention ce prêtre entaché, de préférer à ses avis ceux des prêtres qui n'ont pas de pareilles taches, et de se souvenir de cette maxime du Sauveur : « Un peu de levain fait fermenter toute la masse ». En conséquence, la règle à ce propos, sûre entre toutes, est ici de se tenir en une prudente défiance. Enfin, en ceci comme en tout autre chose, il faut demander à Dieu ses lumières, aux personnes dignes et d'une foi intègre leurs conseils, nous tenant toujours sur la plus grande réserve avec quiconque ne juge pas sainement des erreurs du jour, ou ne se prononce pas clairement contre elles.

Voilà tout ce que nous pouvons dire sur ce sujet, hérissé d'innombrables difficultés qu'il est impossible de résoudre en thèse générale. N'oublions pas une observation d'où jaillissent des torrents de lumière. On connaît mieux l'homme par ses affections personnelles que par ses paroles et ses écrits. Être l'ami des libéraux, mendier leurs faveurs et leurs louanges est, régulièrement parlant, pour un prêtre, une preuve plus que douteuse d'orthodoxie doctrinale.

Que nos amis fixent leur attention sur ce phénomène moral, ils verront combien est sûre la règle, combien infaillible le critère qu'ils en tireront.

XXX

Que faut-il penser des relations que le Pape entretient avec les gouvernements et les personnages libéraux ?

Mais alors, s'écriera-t-on, que devons-nous penser des relations et des amitiés que l'Église entretient avec les gouvernements et les personnages libéraux, ou, ce qui revient au même, avec le libéralisme.

Réponse.

Nous devons estimer que ce sont là des relations et amitiés officielles : rien de plus. Ces relations ne supposent aucune affection particulière pour les personnes qui en sont l'objet, bien moins l'approbation de leurs actes et infiniment moins encore l'adhésion à leurs doctrines ou leur approbation. Ceci est un point qu'il convient d'éclaircir, puisque c'est là-dessus que les sectaires du libéralisme dressent un grand appareil de théologie libérale pour combattre la sainte intransigeance catholique.

Il convient d'abord de faire remarquer qu'il y a deux ministères dans l'Église de Dieu : un que nous appellerons apostolique, relatif à la propagation de la foi et au salut des âmes, l'autre que nous pourrions très bien nommé diplomatique, ayant pour sujet les relations humaines avec les pouvoirs de la terre.

Le premier est le plus noble : c'est à proprement parler le principal et essentiel. Le second est inférieur et subordonné au premier, dont il est uniquement l'auxiliaire. Dans le premier l'Église est intolérante et intransigeante ; elle va droit à sa fin, et rompt plutôt que de plier : Frangi non flecti. Voyez plutôt l'histoire de ses persécutions. Il s'agit de droits divins et de devoirs divins, par conséquent il n'y a là ni atténuation ni transaction possible. Dans le second ministère, l'Église est condescendante, bienveillante et pleine de patience. Elle discute, elle sollicite, elle négocie, elle donne des louanges dans le but d'adoucir, elle se tait quelquefois pour mieux réussir, recule, se semble, mais pour mieux avancer et pour tirer bientôt un meilleur parti de la situation. Dans cet ordre de relations sa devise pourrait être : flecti non frangi. Il s'agit ici de relations humaines, elles comportent par suite une certaine flexibilité et admettent l'usage de ressorts spéciaux.

Sur ce terrain tout ce qui n'est pas déclaré mauvais et défendu par la loi commune dans les relations ordinaires entre les hommes est licite et bon. Plus clairement : l'Église croit pouvoir se servir et se sert en effet dans cette sphère de toutes les ressources d'une ‘’honnête diplomatie’’.

Qui osera lui faire un reproche soit de ce qu'elle accrédite des ambassadeurs auprès de gouvernements mauvais et même de princes infidèles et en accepte de leur part, soit de ce qu'elle leur fasse ou reçoive d'eux des présents, des politesses et des honneurs diplomatiques, de ce qu'elle offre des distinctions, des titres, des décorations à leurs représentants, de ce qu'elle honore leurs famille, par de courtoises et gracieuses manières de parler et rehausse leurs fêtes par la présence de ses légats ?

Mais voilà qu'aussitôt les sots et les libéraux nous viennent à l'encontre : « Eh ! pourquoi devrions-nous détester le libéralisme et combattre les gouvernements libéraux, puisque le Pape traite avec eux, les reconnaît, et les comble de distinctions ? » Méchants ou bornés ! L'un et l'autre à la fois peut-être, écoutez cette comparaison et jugez ensuite. Père de famille, vous avez cinq ou six filles que vous élevez dans la plus rigoureuse honnêteté. En face de votre maison ou simplement séparées de vous par un mur mitoyen, vivent des créatures infâmes Vous recommandez sans cesse à vos filles de n'avoir aucune relation avec ces femmes de mauvaise vie. Vous leur défendez même de les regarder et de les saluer. Vous voulez qu'elles les tiennent pour perverses et corrompues, qu’elles abhorrent leur conduite et leurs idées, prennent soin de ne leur ressembler en rien, ni par leur langage, ni par leurs œuvres, ni par leurs toilettes. Vos filles bonnes et dociles ont le devoir évident de suivre vos ordres qui sont ceux d'un père de famille prudent et avisé. Mais voilà qu'un différend s'élève entre vous et ce voisinage sur un point d'intérêt commun. Une confrontation de limites ou une conduite d'eau par exemple, et vous, père de famille honorable, vous êtes tenu, tout en demeurant honorable, d'entrer en pourparlers avec une de ces créatures infâmes sans que pour cela elle cesse d'être infâme, ou tout au moins avec quelqu'un qui la représente. Vous devez traiter de cette affaire et avoir des entrevues. Vous vous parlez et usez l'un envers l'autre des formules de courtoisie en usage dans la société et cherchez à vous entendre et à conclure un accord sur la question en litige.

Vos filles auraient-elles raison de s'écrier tout aussitôt : « Puisque notre père est entré en relations avec nos voisines de mauvaise vie, c'est qu'elles ne sont pas aussi mauvaises qu'il le prétend. Nous pourrons donc, nous aussi, avoir des rapports avec elles, leur supposer de bonnes mœurs, trouver leur toilettes modestes, louable et honorable leur manière de vivre ».

Voyons, est-ce que vos filles ne parleraient pas comme des sottes en tenant ce langage ? Appliquons maintenant la parabole ou comparaison.

L'Église est la famille des gens de bien (ou qui devraient l'être et qu'elle désire tels), mais elle est entourée de gouvernements plus ou moins pervers ou entièrement pervertis. Elle dit donc à ses enfants : « Détestez les maximes de ces gouvernements ; combattez-les ; leur doctrine n'est qu'erreur, leurs lois ne sont qu'iniquité ». Toutefois, et en même temps, dans des questions où sont engagés ses intérêts propres et parfois les leurs, elle se trouve dans la nécessité de traiter avec les chefs ou représentants de ces mauvais gouvernements, et, de fait, elle traite avec eux, reçoit leurs compliments, et use envers eux des formules d'urbanité diplomatique en usage dans tous pays, pactise avec eux sur des sujets d'intérêt commun, s'efforçant de tirer le meilleur parti possible de sa situation au milieu de pareils voisins. Agir ainsi, est-ce mal ? Non, sans aucun doute. Mais n'est-il pas ridicule qu'un catholique se prévalant aussitôt de cette conduite nous la présente comme la sanction des doctrines que l'Église ne cesse de condamner, et comme l'approbation d'actes qu'elle ne cesse de combattre ?

Voyons, est-ce que l'Église sanctionne le Coran, en traitant de puissance à puissance avec les sectateurs du Coran ? Approuve-t-elle la polygamie parce qu'elle reçoit les présents et les ambassades du Grand-Turc ? Eh bien ! c'est de la même façon que l'Église approuve le libéralisme, quand elle décore ses rois ou ses ministres, quand elle leur envoie ses bénédictions, simples formules de courtoisie chrétienne que le pape accorde même aux protestants. C'est un sophisme que de prétendre que l'Église autorise par de tels actes ce que par d'autres actes elle ne cesse de condamner. Son ministère diplomatique n'annule pas son ministère apostolique ; et c'est dans ce dernier qu'il faut chercher l'explication des contradictions apparentes de son ministère diplomatique.

Ainsi se comporte le pape avec les chefs des nations, ainsi l'évêque avec ceux du diocèse, ainsi le curé avec ceux de la paroisse. Chacun sait jusqu'où vont ces relations officielles et diplomatiques et quel en est le véritable sens, seuls les malheureux sectaires du libéralisme et ceux qui en sont entachés l'ignorent ou feignent de l'ignorer.

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