vendredi 31 octobre 2014

Saint Jérôme sur la lecture de Cicéron et des auteurs classiques païens.

« J'ai voulu faire moi-même, dit-il ailleurs, cette dangereuse expérience, et voici les fruits amers que j'en ai recueillis. Depuis plusieurs années, j'avais quitté la maison paternelle, je m'étais privé de la société de mes parents, de ma sœur et de mes amis; et ce qui est plus difficile, j'avais renoncé à l’usage des aliments délicats ; tout cela en vue de gagner le ciel. Ayant l'intention de me rendre à Jérusalem pour combattre les combats du Seigneur, je ne pouvais me passer de la bibliothèque que je m'étais composée à Rome avec un soin extrême et une peine infinie. Ainsi, malheureux que je suis, je me privais de tout, je jeûnais pour lire Cicéron. Après les fréquentes veilles de mes nuits, après des larmes abondantes versées au souvenir de mes fautes passées, je prenais Plante dans mes mains. Si quelquefois, revenant à moi-même, j'essayais de lire les Prophètes, leur stylo inculte me faisait horreur; et parce que mes yeux malades ne voyaient pas la lumière, je croyais que ce n'était pas la faute de mes yeux, mais du soleil.»

« Pendant que j'étais ainsi le jouet de l'antique serpent, je fus tout à coup ravi en esprit et traîné au tribunal du souverain Juge. Tel était l'éclat de la lumière qui jaillissait de sa personne, ainsi que des anges dont il était environné, que je restai prosterné contre terre sans oser lever les yeux. Interrogé sur ma condition, je répondis que j'étais chrétien. Tu mens, répliqua le Juge ; tu es cicéronien, et non pas chrétien; car là où est ton trésor, là est aussi ton cœur. A ces mots, je me tus, et le Juge ordonna de me frapper, et les coups que je recevais m'étaient moins cruels que les remords dont ma conscience était déchirée. Je me rappelai cette parole du prophète : Qui pourra vous louer dans l'enfer? Cependant je commençai à crier et à dire en sanglotant : Seigneur, ayez pitié de moi. Enfin ceux qui environnaient le tribunal se jetèrent aux pieds du Juge et lui demandèrent grâce pour ma jeunesse, et délai pour faire pénitence de ma faute, lui disant que je me soumettais au supplice si jamais je retournais à la lecture des auteurs païens. Moi-même, dans celte extrémité, je faisais encore de plus grandes promesses; je jurai, en invoquant le nom de Dieu, que si jamais il m'arrivait de conserver des livres païens, je voulais être regardé comme un apostat.»

 « Ce serment à peine prononcé, je suis relâché, je reviens à moi-même. Au grand étonnement de ceux qui m'entouraient, j'ouvre les yeux tellement inondés de larmes, que cela seul suffisait pour prouver aux incrédules la violence de la douleur que j'avais endurée. Ce ne fut point un sommeil ou un vain songe, comme ceux qu'on éprouve quelquefois. J'en prends à témoin ce tribunal devant lequel j'étais étendu; j'en prends à témoin la redoutable sentence qui me glaça de frayeur, Aussi jamais il ne m'arrivera de m'exposer à subir une pareille question, dans laquelle j'ai eu les épaules meurtries par des coups dont j'ai ressenti longtemps la douleur, et après laquelle j'ai étudié les saintes Écritures avec autant d'ardeur que j'en avais mis à étudier auparavant les ouvrages profanes. » Le saint docteur fut fidèle à son serment. Non-seulement il ne lui arriva plus de lire aucun auteur païen, mais il craignit encore d'en citer les passages qui lui revenaient naturellement à la mémoire. À ceux qui lui disaient ce qu'on répète aujourd'hui, que, sans la connaissance de ces auteurs, on ne saurait bien parler ni bien écrire, il répondait : Ce que vous admirez, je le méprise, et je le méprise, parce que j'ai goûté la folie de Jésus-Christ, et la folie de Jésus- Christ, sachez-le bien, est plus sage que toute la sagesse humaine.»

Le ver rongeur de Mgr Gaume P.107 à 110 

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