dimanche 29 mai 2016

Autobiographie de Mgr Pierre Martin Ngô-Dinh Thuc, archevêque de Huê - 4/4

 
J'avais une somme pour acheter les matériaux, tandis que la main-d’œuvre serait constituée par les paroissiens et paroissiennes de Phû-cam (nom de la paroisse de la  cathédrale et ma paroisse natale). Donc, main-d’œuvre gratuite, sous la direction d'experts rétribués. Je n'ai pu suivre jusqu'à l'achèvement cette construction et c'est mon successeur, Mgr Diên qui a eu l'honneur de consacrer la nouvelle cathédrale, dans une concélébration avec la plupart des prêtres de l'archidiocèse. A mon départ, l'intérieur de la cathédrale était fait, il ne restait plus qu'à édifier la façade.


Comme je l'ai dit plus haut, j'ai dû amplifier le grand Séminaire de Hué qui devint Séminaire régional pour Hué et les diocèses suffragants de cette métropole, allonger la chapelle pour contenir plus de 100 grands séminaristes l’ancienne n'avait qu'une trentaine de places. Le réfectoire, les salles de cours, la maison des professeurs durent être aménagés pour la nouvelle destination. Dieu a voulu que je puisse assister à l'achèvement de ce séminaire régional.


Comme le petit séminaire était dans le territoire occupé par les Communistes du Nord, j'ai trouvé un emplacement en pleine ville de Hué et j'ai pu construire un petit séminaire pour 300 élèves, en béton armé, avec une belle chapelle, une cuisine avec logement pour les soeurs cuisinières, un camp de football. Tout ceci, grand et petit séminaire avec l'argent de mon frère le Président.


Je raconte tout ceci en détail, afin que ceux qui viendront après moi se souviennent du grand bienfaiteur de l'archidiocèse de Hué. Car c'est grâce à sa générosité que j'ai pu achever pendant mon court séjour à Hué, tout ce programme de modernisation. Mon frère n'a jamais soufflé mot à quiconque de son aide désintéressée, comme il l'a fait pour les constructions de la paroisse vietnamienne de Paris. Sa discrétion, hélas, a été exploitée par le Père Gr'ân qui a proclamé, urbi et orbi, que les bâtiments de cette paroisse avaient été payés de son propre argent. Où l'aurait-il trouvé, lui réfugié à Paris par peur des communistes et sans un sou dans sa poche ? Mon frère ne m'a soufflé mot de cette aide. Je ne l'ai su que grâce à Madame Nhu qui a été témoin de la conversation entre le Président et le P. Gr'ân.


Les prétentions du P. Gr'ân sur la possession de la chapelle et de la cure de cette paroisse vietnamienne à Paris sont sans fondement donc un vol, ainsi que tous les avantages qui lui sont échus, par exemple l'exploitation du restaurant installé au-dessous de la chapelle et fréquenté par de nombreux clients vietnamiens et étrangers. C'est là la source de l'enrichissement de ce prêtre, devenu plusieurs fois millionnaire, qui possède villas et autres restaurants. Hélas, ce prêtre, converti au catholicisme et si pieux naguère, n'a pu résister à l'appât de l'or. Devenu trafiquant, il a réussi à faire venir ses frères et soeurs du Vietnam à Paris et toute la famille roule, actuellement, en carrosse... Que le Bon Dieu lui accorde le repentir et le retour à la piété de sa jeunesse...


Durant les quelques années passées comme archevêque de Hué, ma vie était bien remplie. Mis au lit vers 9 heures du soir, je me levais de bonne heure pour méditation et messe, ensuite la correspondance. Tout était terminé vers 7 heures. J'allais alors à Phûcam porter la communion à ma mère, paralysée au lit par l'arthrose puis je me rendais sur les chantiers surveiller la construction.


Vers 9 heures, j'étais à l'évêché pour recevoir prêtres et diocésains désirant me voir. Pour les prêtres, ils se présentaient munis d'un papier où était exprimées leurs demandes ou leurs questions. Ainsi, je pouvais leur répondre succinctement et ensuite leur écrire si la question demandait longue réflexion. Ainsi, les confrères n'avaient pas à s'éterniser à Hué mais pouvaient rentrer dans leurs paroisses au plus tard le lendemain de leur arrivée à l'évêché.


Tous les mois, je convoquais le Conseil épiscopal, composé des pro-vicaires et des chefs des districts pour me fournir tous renseignements sur leurs districts.


Une chose me tenait à coeur : que mon archidiocèse fut autosufficient, soit autonome, économiquement. Le même problème et le même souci qu'à Vinhlong. Rome, c'est-à-dire la S.C. de la Propagation de la foi doit subvenir aux besoins des missions. L'argent vient des fidèles : associés de l'Oeuvre de la Propagation de la foi, de l'Oeuvre de la Ste Enfance, de l'Oeuvre de St-Pierre Apôtre. Les deux premières oeuvres suscitées par une chrétienne française de Lyon. Or, quoiqu’encore dépendant de la S.C. de la Propagande, le Vietnam a eu sa hiérarchie constituée, non plus par les vicaires apostoliques, mais par les archevêques et évêques. Donc, par principe, le Vietnam catholique doit se suffire à lui-même et laisser les aumônes des Oeuvres pontificales missionnaires aux missions proprement dites. Mais, comment faire comprendre cette notion à nos chrétiens ? Comment leur inculquer cela ?


D'abord, en rendant nos paroisses autonomes par le denier du culte. Et pour ce, faire participer nos fidèles à l'établissement du budget de la paroisse. Que le Curé rassemble ses paroissiens et leur révèle les besoins pécuniaires de la paroisse : école, soeurs enseignantes, culte, etc... et la participation de chaque chrétien et chrétienne adulte, chacun d'après ses possibilités. Le devis exposé par le Curé doit être approuvé par les paroissiens. La somme récoltée sera affichée publiquement, le moindre aumône ou contribution sera connue de tout le monde; les dépenses également connues de toute la paroisse. Or, normalement, il suffisait à nos paroissiens de se priver, chaque semaine, d'un paquet de cigarettes pour faire marcher leur paroisse...


D'ordinaire, les curés n'aiment pas cette manière de faire; ils préféreraient recevoir l'argent sans révéler le détail des dépenses, tandis que les chrétiens aiment savoir ce que l'on a fait de leurs contributions. Il faut que la paroisse ait une seule âme. Peu à peu, l'habitude se prend et chacun se sent fier de pouvoir se suffire à soi-même. Je ne sais si mon successeur a continué à encourager nos fidèles à faire leur devoir et nos prêtres à partager leurs soucis avec leurs ouailles, car il est plus commode de ne pas rendre compte de la gestion ni d'en discuter pour obtenir l'assentiment des paroissiens, et de disposer de leur denier à sa guise... Le dialogue est plus pénible que de décider tout par ukases.


A Vinhlong, j'ai dû toujours talonner mes prêtres pour dialoguer avec leurs fidèles. Or, ce n'est pas condescendance, mais simplement justice que de disposer de l'argent des autres seulement avec leur accord. Mais l'habitude se prend vite, car l'homme est, quand même, le reflet bien pâle bien sûr... du Dieu, son créateur, qui est toute justice.


Mes prêtres de Hué (ma petite patrie) sont : ou mes aînés qui m'ont connu comme leur élève au Séminaire, ou mes condisciples ou mes élèves au Grand séminaire, ou, enfin, mes cadets dans le Sacerdoce. Ils connaissent mes déficiences, mais tous reconnaissent mon respect et mon affection à leur égard. Ils savent que, comme tout homme, je puis me tromper, mais ils sont aussi convaincus que je cherchais à faire de l'archidiocèse de Hué au moins l'égal des deux autres archidiocèses (Saïgon et Hanoï).


Intellectuellement et pour le zèle apostolique, ils sont égaux ou plutôt en avance sur les autres diocèses. Economiquement, ils sont pauvres, n'ayant que les honoraires de la Ste-Messe pour subsister, mais ils se débrouillent bien pour convertir les païens.


Ils savent que le fardeau que je leur impose est indispensable pour le bien et celui de leur diocèse. C'est pourquoi, malgré mon éviction sans raison valable de mon archevêché qui n'a jamais, auparavant, brillé d'un tel éclat que durant les quelques années de mon administration, mes prêtres me sont restés fidèles, à part quelques rares sujets qui formaient l'entourage de mon successeur Mgr Diên.


Ce dernier s'est aperçu, vite, de cette situation et s'est plaint auprès du St-Siège de cette désaffection à son égard et croyait que j'entretenais une latente opposition. J'ai dû me défendre, en demandant à la S.C. de la Propagande, des preuves de mes agissements souterrains. Or, je n'ai jamais écrit autre chose, à mes rares correspondants de mon ancien siège, que d'obéir à leur évêque et que l'obéissance vaut mieux que tous les sacrifices. L'affaire en resta là. Je n'ai pas à regretter ma conduite envers Mgr Diên, car les membres de mon clergé, réfugiés soit en Amérique soit en Europe, après ma longue absence du Vietnam, continuent à me démontrer leur affection à mon égard.


Peut-être se demande-t-on pourquoi j'ai tenu à avoir un Petit-séminaire à Hué, séminaire capable de contenir 300 étudiants ? C'est que nos chrétiens de Hué sont pauvres, c'est que à Hué il n'y a qu'un collège secondaire dont j'ai été le proviseur et il était payant donc pas abordable à la grande majorité des catholiques. Les séminaristes qui poursuivent jusqu'au Sacerdoce ne sont pas très nombreux, mais ceux qui abandonnent le Séminaire gagnent bien leur vie comme employés de l'Etat. Là, ils nous rendent beaucoup de services; ils servent aussi comme leaders de l'Action Catholique, ce qui est mieux encore.


Mais, je n'ai pas oublié la question des vocations tardives : j'ai donné cette consigne à nos prêtres du Séminaire : accueillir ces jeunes gens avec affection, leur conseiller de finir leurs études là où ils les ont commencées, une fois acquis le baccalauréat. Après ces études secondaires, on les prenait au Séminaire pour leur faire du Latin, uniquement, pendant deux ans, ensuite, ils entraient au Grand-séminaire. Mais, entre-temps, pour qu'ils conservent leur attrait vers le Sacerdoce : les réunir, les jours de congé, au Petit-séminaire, pour leur faire partager la vie des séminaristes et leur parler de la vocation. Ce contact, périodique et fréquent, est indispensable, car le monde les attire et l'état ecclésiastique, à Hué surtout, est peu reluisant au point de vue économique. Est-ce à dire que les vocations tardives sont plus résistantes et donnent de meilleurs prêtres que celles qui parviennent au Sacerdoce par la voie normale des séminaires ? Rien ne le prouve. J'ai vu des vocations tardives qui ont flanché, d'autres qui ont persévéré comme le sont celles éduquées dans nos séminaires.


Un des buts de mon administration à Hué fut celui de faire de nos religieuses Amantes de la Croix, de vraies religieuses avec les trois voeux de religion. Or, Hué possédait 5 couvents : à Dilsan, grande chrétienté de la province de Quang-tri, à Covun, au chef-lieu de Quang-tri, à Duong-Son, province de Hué. Phûcam, aussi à Hué et Kêbang, dans la province de Quang-binh. Chaque couvent a ses biens, son noviciat, son rayon d'action apostolique, son école. Ce qui leur était commun était l'absence de voeux religieux, et cela depuis leur création au début de l'évangélisation du Vietnam.


Le premier Vicaire apostolique a été mis en présence de quelques associations de femmes vivant ensemble, sans aucun lien religieux. Il leur donna un règlement de vie commune, sans voeux réguliers. Certes, cette manière de faire était commode pour leurs employeurs, c'est-à-dire l'évêque et les prêtres : on pouvait les mettre à toutes les sauces : aller instruire les catéchumènes, aller faire la cuisine pour le séminaire, pour les hôpitaux, aller ramasser les récoltes des rizières de la Mission, etc... Elles sont à la disposition des curés, des ouvrières avec un salaire minime, des ouvrières travaillant jours et nuits quand on en avait besoin. Un minimum d'exercices de piété, un mois de vacances l'année et cela jusqu'à l'épuisement; alors, la maison-mère les reprend et les ensevelit. Donc, aucun droit, aucune défense, un minimum d'instruction religieuse.


Or, la femme vietnamienne est admirable de dévouement, de savoir-faire et aussi d'héroïsme. Peut-être est-elle supérieure à l'homme vietnamien. Les premiers insurgeant contre les envahisseurs du Vietnam les Chinois-furent les deux soeurs : Trung-trûc et Trung-Nhi. Elles levèrent l'étendard de la révolte, battirent les Chinois en plusieurs batailles puis, encerclées par des forces supérieures, elles se suicidèrent en se noyant dans un fleuve. Mais leur exemple fut suivi par nos compatriotes et ceux-ci réussirent à bouter les Chinois hors du Vietnam, après mille ans d'occupation...


Quand j'étais évêque à Vinhlong, nos deux couvents d'Amantes de la Croix, celui de Caimon et de Cainhum, avaient depuis peu leurs voeux religieux, mais leur emploi par le clergé, dans les paroisses, était abusif. Les religieuses étaient envoyées deux à deux : une âgée et une jeune, donc difficile communion. Théoriquement, elles devaient être, toujours, à deux; pratiquement, souvent, elles se trouvaient seules : par exemple, quand le curé envoie l'une au presbytère prendre quelque chose ou à l'église pour lui apporter quelque affaire. Donc, un curé madré pouvait être "solus cum sola" avec une jeune religieuse, qu'il pouvait courtiser ou abuser. Cela est arrivé, non pas souvent, mais bien des fois. A qui se plaindre ? La mission de la religieuse dure 10 mois, elle ne rentre au couvent que les 2 mois de Juin et Juillet pour se reprendre.


Jugez vous-même de ma perplexité si, en confession, la religieuse m'apprenait qu'elle n'a eu la Messe et la Communion que rarement, chaque mois, car elle devait rester avec ses catéchumènes dans sa petite paroisse. Or, le prêtre ne dit qu'une seule messe, le dimanche et les jours de fête, dans la paroisse principale où est sa résidence. Donc, beaucoup de travail, une nourriture peu abondante, car préparée par la jeune religieuse en vitesse et mangée en vitesse; fréquentation des catéchumènes, non seulement femmes et enfants, mais hommes mûrs et jeunes, vigoureux; aliment spirituel très pauvre. Si ces soeurs pouvaient résister à la tentation, c'était de l'héroïsme.


J'ai donc dû prescrire à nos curés de payer le voyage des soeurs afin que, chaque semaine, elles puissent aller à la messe, se confesser et communier une fois, au moins. Sinon, je leur enlevais les religieuses. Pour l'instruction, je les envoyais (les jeunes) à Saïgon chez les soeurs françaises de St-Paul de Chartres pour acquérir le diplôme élémentaire et, pour celles plus douées, le brevet élémentaire afm qu'elles deviennent maîtresse d'études durant le postulat et au noviciat. Avec ces pauvres diplômes, elles figuraient comme des académiciennes auprès de nos prêtres qui, en dehors du latin, n'avaient aucun diplôme d'Etat. Donc, elles commencèrent à être respectées. Et quand j'ai fondé l'Université catholique à Dalat, quelques-unes y sont allées et ont pu prendre une licence, car la femme vietnamienne est très intelligente.


A Hué donc, j'ai choisi deux jeunes soeurs dans chaque couvent et les ai envoyées à Dalat, chez les Chanoinesses de St-Augustin qui y ont un collège secondaire. Là, ces religieuses Amantes de la Croix faisaient un noviciat, comme le font les vraies religieuses, ensuite elles rentraient à Hué. Et, depuis, toutes les religieuses, âgées comme jeunes, ont dû faire leur noviciat et devenir de vraies religieuses, car le noviciat et l'école secondaire sont commun à Hué, dans l'ancien palais du Délégué apostolique.


Ce palais de la Délégation de Hué avait été mis à ma disposition parce que, depuis que la capitale politique était à Saïgon, le Délégué avait acquis un siège en cette ville pour être près du Gouvernement civil. Maintenant, il y a une Supérieure-générale commune à tous les couvents. Elle réside dans la maison et dispose de la propriété de ma famille où je suis né, avec son Conseil où siège l'une de mes propres nièces diplômées d'une licence acquise à Rome.


Les couvents conservent leurs propriétés, mais paient pour l'entretien du noviciat et de l'école secondaire commune. Voilà donc une réussite qui est une véritable consolation pour moi.


Le vent de la persécution souffle fort au Vietnam, mais les religieuses sont bien préparées à tenir tête, comme l'ont fait leurs devancières durant les 200 ans de persécutions. Aucune Amante de la Croix n'a renié Jésus en foulant aux pieds le Crucifix tandis qu’un prêtre et un séminariste l'ont fait ; ce dernier, à l'encontre du prêtre, s'est repenti de sa lâcheté et a été écrasé sous les pattes d'un éléphant dirigé par les persécuteurs. Le prêtre avait nom de Duyêt et le séminariste : le Bienheureux Bot. Ceci justifie mon opinion sur la valeur de la femme vietnamienne, unique au monde.


Toutes ces réalisations eurent lieu dans le laps de temps, relativement court, entre 1960 et 1968 (8 ans), dont la moitié passée à Rome, d'abord pour participer à la préparation du Concile et, ensuite en participation au second Concile du Vatican. Ce furent les dernières étincelles de mon activité sacerdotale et épiscopale. Le reste de ma vie, c'est une série d'échecs, dont je raconterai le déroulement après avoir décrit mon humble rôle dans le Concile pastoral.


Le deuxième Concile du Vatican est dû à l'initiative de Jean XXIII, surnommé Le Bon, mais à mon humble avis, ce pape très pieux, très saint, était un faible. Il a avoué ce défaut. A lui, on pourrait appliquer le dicton : Video meliora, deteriora sequor : J'ai voulu ce qui était le meilleur pour exécuter ensuite ce qui était moins bon.


Jean XXIII avait voulu une renaissance de l'Eglise et avait tout un beau programme à cet effet. Mais, hélas, il ne pouvait pas ne pas céder aux instances des gens d'Eglise qui voulaient moderniser l'Eglise du Christ avec le Monde moderne qui est "in malo positus", qui est tourné vers le Mal. Car nous sommes la génération qui précède "la fin du monde", où va se dérouler la dernière bataille de Satan contre Dieu : bataille décisive qui, après diverses péripéties, finit par la défaite de Lucifer et le triomphe final du Christ, par le Jugement dernier.


Satan avait comme armée : le Communisme athée.


Le Communisme du juif Marx a un aspect alléchant : il veut le bien du peuple, il veut une plus grande justice distributive, il veut détruire le Capitalisme sans Dieu, dans lequel le but unique est le gain individuel par l'exploitation des travailleurs, des ouvriers. Ce qui est louable. Mais son but s'arrête là : le bonheur, le paradis en ce monde. Pour lui, le ciel n'existe pas. Pour lui, la Religion n'est que l'opium pour étourdir le peuple que les capitalistes font travailler pour remplir leurs coffres forts à l'instar des chiens de chasse entretenus dans le but de procurer le gibier. Donc, il est le direct descendant des philosophes avant à leur tête Voltaire. Donc le mot d'ordre était écrasons l'infâme, le Catholicisme, Jésus-Christ.


Certes, l'Eglise du Christ, dans la personne de certains de ses chefs, les Papes, s'appuyait sur les puissants, sur les riches, croyant y trouver un appui pour le triomphe de l'Eglise.


Ces papes n'ont pas compris la stratégie de Jésus-Christ : Bienheureux les pauvres d'esprit, bienheureux les persécutés. L'Église progresse par la Croix et non pas par le Dollar.


Le deuxième Concile aurait dû commencer par rappeler ce principe : le triomphe par la Croix, le triomphe par le Martyr. Donc, sus au Communisme sans Dieu ou plutôt, contre Dieu. Le paradis du Communisme est le même que celui du Capitalisme : le paradis terrestre.


Le Travail, que le Dieu-créateur a imposé à l'Homme, est pour le développement, la perfection de ses activités intellectuelles, surnaturelles, corporelles et non pas pour le seul but de remplir son ventre. Le Vatican II semble avoir pour but, le même que le Communisme : le bonheur temporel de l'Homme. C'est pourquoi a éclaté ce scandale : interdiction de la moindre attaque contre le Communisme. D'où le dogme de la bonté naturelle de toutes espèces de croyances. D'où le triomphe de l'axiome protestant : la liberté de la pensée et l'égalité de toutes les pensées religieuses. D'où l'oubli de la dernière et essentielle recommandation du Christ avant son Ascension : "Allez enseigner toutes les nations. Quiconque sera baptisé au nom du Père, du Fils et du St-Esprit sera sauvé. Je serai avec vous jusqu'à la fin des siècles". D'où cet effort pour rendre la Religion catholique plus facile, en écourtant les prières des prêtres, en édictant la non-culpabilité pour ceux qui ne prient plus le Bréviaire, la Méditation; la rédaction d'une Messe passe-partout pour les catholiques et les protestants, les premiers partisans de la Transsubstantiation, les seconds n'y croyant pas, mais prétendant que la Messe n'est que le Souvenir de la Cène, donc aucun "Mysterium Fidei".


Vatican II n'osait pas interdire la Messe en latin, langue commune de la Chrétienté, surtout en ce qui concerne la partie centrale de la Messe : le Canon, tout en permettant l'usage de la langue vulgaire pour les autres parties. Soi-disant pour que les fidèles puissent mieux entendre et comprendre la Messe, en oubliant que les fidèles, en se servant du Missel bilingue, suivaient bien la Messe dite en latin par le célébrant. En supprimant, dans la "Nouvelle Messe de Bugnini", composée de concert avec les protestants, surtout avec les moines protestants de Taizé, qui sont les Pères de l'Eglise moderne, on a supprimé la langue officielle de l'Eglise catholique latine qui est, aussi, la langue diplomatique de l'Europe.


On croyait que cette condescendance du Vatican II pour nos frères séparés, amènerait vers nous les protestants. Or, il n'y a eu retour vers le Catholicisme ou, plutôt, cet écourtement de la prière, de la méditation, cette priorité donnée à l'action ont provoqué tant d'abandons de la prêtrise que des mariages de prêtres, de religieux se font partout, que des religieuses quittent le cloître. Plus de vocations pour le séminaire ni pour les couvents. Le recrutement est l'apanage des Ordres qui sont restés sévères et fidèles à leurs anciennes Constitutions.


Les églises se vident de fidèles. La Messe nouvelle, où le prêtre n'est plus que le président de l'assemblée et non plus l'unique sacrificateur, voit se raréfier son assistance. Chaque pays a sa Messe, adaptée à la mentalité de son peuple : les Japonais assis sur les talons, sur une natte en guise d'autel. Le crucifix monumental qui domine nos anciennes églises, se réduit à un petit crucifix laissé coucher sur une petite table qui sert d'autel, sans pierre sacrée. La Messe bâclée en une vingtaine de minutes. Les rares communiants, qui communient debout et non plus à genoux, reçoivent l'hostie dans leur main et la croquent comme un bonbon, au lieu de la recevoir sur leur langue. La Confession auriculaire n'est plus de mode, on se contente du Confiteor de la Messe, malgré le rappel de la S.C. pour la Défense de la Foi. Le prêtre dit la Messe, montrant le dos au tabernacle...


On comprend, maintenant, la révolte de Mgr Lefebvre, le succès de son Séminaire d'Ecône et la multiplication de ses Prieurés, en France et ailleurs. Et le malaise dans tous les pays chrétiens d'Europe et d'Amérique. L'avenir de l'Eglise est menacé par le manque de vocations. Le Marxisme triomphe partout. L'Afrique est attaquée par les Cubains de Castro. L'Amérique du Sud, où autrefois la Religion Catholique régnait sans contestation, est troublée par la lutte entre Traditionnalistes et partisans du Vatican II. La Russie soviétique est agissante partout, sa flotte est la plus forte du monde, son budget militaire dépasse celui des Etats-Unis. Elle intervient en Afrique, en Amérique du Sud, partout, même au Vatican où Paul VI malgré tant de déboires persiste dans sa politique de la main tendue aux Communisme.


Ce qui précède fait comprendre mon rôle au Concile : mes quelques interventions ont eu pour but de défendre l'Eglise du Christ contre les attaques modernistes, contre la dégradation de l'Eglise menée par le parti moderniste bien organisé, guidée par Suenens et d'autres prélats comme Marty, factuel Cardinal-archevêque de Paris. Je dois aussi ajouter que la majorité des Pères du Concile, en particulier ceux de l'Amérique du Nord, ne comprenaient pas bien le Latin, langue officielle et obligatoire du Concile. Ils passaient une grande partie des débats conciliaires aux deux bars installés à St-Pierre, en buvant du café ou du Coca-cola, et ne rentraient qu'à l'heure du vote sans savoir au juste quoi voter. Ils votèrent, au hasard, tantôt OUI, tantôt NON (pour changer, comme ils le dirent) et ces votes, officiellement, comptaient comme "inspirés du St-Esprit" et s'additionnaient en "majorité". J'ai vu aussi d'autres Pères, très peu, qui ignorants n'allaient pas invoquer le St-Esprit dans les bars, mais, assis dans leurs sièges, égrenaient leur chapelet puis consultaient, pour leurs votes, le conseil de leurs voisins...


Il aurait fallu, au Concile, innover la mode des traductions simultanées, en anglais surtout ou en français, pour que tout le monde sût ce dont il était question pour pouvoir voter selon la conscience et remplir, en toute connaissance, le rôle de Pères du Concile. Tout le monde a vu un Cardinal américain quitter le Concile après quelques sessions et rentrer en Amérique en disant que sa présence au Concile était moins utile que rentrer dans la patrie des dollars pour y ramasser de l'argent, car le Concile coûtait très cher au St-Siège, à cause de la location des installations à la basilique de St-Pierre durant tout le temps du Concile. Et les buvettes exigeaient d'énormes dépenses...


On vit, au Concile, aussi beaucoup de retournements d'opinion; des prélats, au début acharnés traditionalistes, devinrent, après quelques séances, modernistes quand ils s'aperçurent que le St-Père (qui n'était pas présent au Concile, soi-disant pour montrer qu'il ne voulait pas influencer sur les opinions des Pères, mais qui en suivit les débats par la radio) était pour les modernistes. Ils changeaient donc de casaque pour ne pas louper, plus tard, les hautes charges ecclésiastiques et, surtout, la calotte pourpre du Cardinalat. Ainsi fit, par exemple, le Secrétaire de la S.C. de l'Index, actuellement Congrégation pour la Défense de la Foi, qui trahit son chef, le vénéré Cardinal Ottaviani, pour suivre Suenens.


Le dépouillement des votes et des interventions des Pères, conservés aux Archives du Vatican, confirmerait mes assertions. Nous ne devons pas nous étonner de cet état de choses. Les Conciles précédents présentaient les mêmes phénomènes. Un Athanase luttait presque seul en faveur de l'Orthodoxie et il lui fallait une immense énergie et patience pour obtenir une majorité. Or, à son époque, les Pères du Concile étaient quelques centaines tandis que Vatican II comptait plus de 2000 participants. Or, les évêques sont choisis, moins pour leurs connaissances théologiques que pour leur savoir-faire et leurs bonnes relations avec les Nonces et Délégués apostoliques qui indiquent aux Dicastères romains les successeurs des sièges vacants.


Ma présence au Concile, loin du Vietnam, a sauvé ma vie. Autrement, j'aurais été massacré comme le furent mes trois frères, le Président Diêm, Nhu et Cân. Car, le Concile conclu, tandis que mes collègues vietnamiens du Sud rentrèrent au Vietnam, les Américains obligèrent le Gouvernement du Sud-Vietnam à me refuser le visa de rentrée. Sans le dire ouvertement, car il n'y avait pas de raison pour me refuser ce retour : l'ambassade vietnamienne me demandait de patienter pendant qu'elle contactait le gouvernement à Saïgon. J'attendis quelques mois et recourrai au St-Père pour qu'on m'accordât ce permis de rentrer.


Je ne sais pas ce que fit le St-Père Paul VI, mais il profita de mon impossibilité de rejoindre mon siège d'archevêque de Hué pour m'imposer ma démission et nommer, à ma place, son favori Mgr Diên.


Pour ne pas moisir dans l'oisiveté, j'ai demandé à faire du ministère en Italie, comme vicaire de paroisse, ce qui ne me coûtait guère, car je parle couramment l'Italien et aime les Italiens. D'abord, je me rendis à l'Abbaye de Casamari où le Révérendissime Abbé me connut quand j'y accompagnais Mgr Lê-huu-Tu, un cistercien appartenant donc au même Ordre que celui de Casamari, abbaye très ancienne fondée par St Bernard de Clairvaux. Il me proposa d'y fixer ma demeure. J'y ai passé des mois, heureux d'être le confesseur des Moines du monastère et des fidèles de la paroisse dépendant de l'abbaye. Mais après plus d'une année de séjour, j'ai dû la quitter, sans faute de ma part. Ce fut le commencement de la dernière époque de ma vie qui ne comptera plus que des échecs. Echecs providentiels.


Le Gouvernement nationaliste de Saïgon m'ayant refusé le visa d'entrée au Vietnam, sur l'instigation des Américains, j'ai dû chercher un logement quelconque, pas trop cher, à Rome. J'ai fait le tour des centres d'accueil pour ecclésiastiques. Partout j'ai essuyé un refus poli, mais définitif. Je crois que la raison était mon titre d'évêque. On était convaincu que j'aurais pris des libertés et donnerais un mauvais exemple aux étudiants ecclésiastiques. "Et sui eum non receperunt", ce qui veut dire : "Les siens refusent de l'accueillir".


Heureusement, un ancien délégué apostolique au Vietnam, Mgr Caprio, qui avait été mon obligé auprès du gouvernement de Saïgon alors présidé par mon frère Diêm et qui avait été l'hôte des Soeurs Franciscaines lors de ses séjours à Rome, m'indiqua ce centre d'accueil. Je sautais sur l'occasion. La supérieure, une Luxembourgeoise, m'accepta et même m'octroya une réduction sur le loyer : avec 50 000 lires mensuelles, j'avais droit à une petite chambre, à trois repas par jour. Je trouvais aussi du travail apostolique auprès du curé de la paroisse attenante : dire la Ste Messe à 11 heures, confesser les fidèles, visiter tous les mois une centaine de malades qui, éclopés, ne pouvaient se rendre à l'église. Deux fois par mois, vers 15 heures, je faisais ma tournée, portant la Ste Communion après avoir entendu leurs confessions, ceci quand ils me le demandaient.


Pour ce ministère, le curé, royalement, me donna 30 000 lires par mois. Donc, pour le service de cette paroisse assez riche, je devais trouver les 20 000 lires nécessaires pour compléter la pension mensuelle chez les soeurs. Le curé m'expliqua qu'il avait donné ce salaire à son ancien vicaire qui l'avait quitté. Je lui fis remarquer que ce vicaire, outre ce salaire, occupait gratuitement une chambre et partageait fraternellement les repas du curé. Celui-ci rétorqua qu'il avait besoin de l'ancienne chambre du vicaire pour ses hôtes et qu'il se ferait un plaisir de me recevoir à dîner aux principales festivités de l'année.


J'acceptais ces conditions assez draconiennes, car j'étais heureux de faire cet apostolat et je crois que les paroissiens étaient contents de mas services. Ils me l'ont dit plusieurs fois et j'étais persuadé d'avoir trouvé, non pas un pactole, mais une occasion d'exercer, humblement, mon apostolat sacerdotal. Après plus d'une année, un orage éclata à l'improviste. On était en pleine canicule. Rome chauffait comme un four. Après la visite de mes malades, j'étais trempé de sueur, je désirais prendre une douche. Or les soeurs n'avaient pas, chez elles, de douche, mais profitaient du dimanche pour faire un bain chaud avec l'eau de leur cuisine. J'allais donc au presbytère où se trouvait toujours de l'eau chaude pour la baignoire réservée aux vicaires. Mais le curé me l'interdit en me disant, textuellement, "que habitant chez les soeurs, je devais me baigner chez elles et non pas au presbytère". Or les soeurs n'avaient de bain que le dimanche. Excédé par le refus du curé, je lui rendis "le tablier". Ainsi finit mon premier apostolat en Italie, au plus grand déplaisir des fidèles de la paroisse et, surtout, de mes malades. Car le refus du curé était la conséquence non pas de son avarice, mais d'une certaine jalousie, constatant que mon confessionnal était fréquenté par ses paroissiens et qu'un nombre de ses philothées l'abandonnait pour m'adopter comme confesseur.


Comment prouver cela ? J'avais l'habitude d'aller à l'église pour faire ma méditation et dire mon bréviaire et, ainsi, être disponible pour mes pénitents éventuels. Autrement, pour se confesser, les gens devaient trouver le sacristain, pas toujours à l'église. Et quand il y était, il devait aller chercher le curé, qui n'était pas toujours à la cure. Tandis que moi, en permanence à l'église, le pénitent pouvait se confesser de suite et rentrer chez lui...


Pendant l'été, le curé prenait un mois de vacances et me permettait d'occuper son confessionnal. En dehors de ce mois, je devais me servir de mon confessionnal qui se trouvait près de l'entrée de l'église, tandis que celui du curé était près de l'autel majeur.


Un matin, un prêtre disait la Ste Messe. Il était au Pater. J'entendais cette messe lorsqu'une femme m'accosta et me pria d'écouter sa confession, car c'était l'anniversaire d'un de ses parents défunts. Comme le temps pressait pour la Communion, je crus plus pratique d'aller la confesser au confessionnal du curé. A peine la confession commencée, j'entendis des cris. Je me bornais à dire : "Qui que vous soyez, taisez-vous, car je suis en train de confesser."


La confession à peine terminée, en sortant je vis le curé, rouge de colère, qui me dit : "Vous n'avez pas le droit de prendre mon confessionnal". Je lui répondis : "Père, je vous expliquerai après la messe, à la sacristie". A la sacristie, je lui racontais l'histoire de cette femme qui avait besoin de se confesser pour communier à la messe qui en était au Pater. Donc, si je devais aller au fond de l'église, elle aurait perdu la communion. Le curé me riposta : "Tant pis pour elle, elle aurait dû se rendre plus tôt à l'église. De toute façon, vous n'avez pas le droit d'occuper mon confessionnal".


Je n'avais jamais vu, auparavant, un prêtre aussi peu charitable. Le Seigneur courait après la brebis égarée tandis que le pasteur de la paroisse des Coeurs de Jésus et de Marie s'en "fichait" royalement. Pour lui, la chose qui importait était la possession de son confessionnal, même s'il était absent de son église. Or, la raison de cette intransigeance était celle-ci : ses philothées, avant de confesser leurs péchés, lui rapportaient les cancans de la paroisse. En effet, quand j'étais dans ce confessionnal pendant les vacances du curé, bien des fois, ses pénitentes, croyant que le curé était dans le confessionnal, commençaient à faire leur rapport. Je les gourmandais immédiatement, leur disant que le confessionnal servait à l'aveu de ses péchés et nullement à raconter les péchés de ses prochains.


Donc, me voilà chassé de cette paroisse et, conséquemment, il me fallait trouver un autre logis, car l'hospitalité payante accordée par les Soeurs m'était utile, uniquement pour ce ministère.


Où aller maintenant ? Après avoir bien réfléchi, je me souvenais de l'invitation, faite naguère, par le Révérendissime Abbé cistercien de Casamari, localité au centre de l'Italie, à venir habiter chez lui où je pourrais faire un peu de bien, sans rien débourser, car cette abbaye très vaste ne possédait qu'une trentaine de moines pour occuper une centaine de cellules et, en plus, une trentaine de cellules pour les novices. Or, il n'y avait, alors, qu'un seul novice.


J'écrivis et l'Abbé Buttarazzi me répondit de suite, en réitérant son invitation. Je me mis en route, prenant le car Rome-Casamari, province de Frosinone et me voici hôte de ce très ancien monastère fondé au Moyen-Age par les disciples de St-Bernard de Clairvaux, abbaye dont dépendent plusieurs prieurés disséminés un peu partout en Italie. Naguère, la Congrégation cistercienne de Casamari comptait des centaines de moines, mais actuellement le nombre des moines de cette Congrégation est bien réduit. La branche la plus prospère est celle du Vietnam, avec un Abbé qui réside à Th'u-dûé, près de Saigon, dont la juridiction s'étend à deux monastères obligés de se replier en Cochinchine pour fuir l'avance communiste au Centre-Vietnam.


La Congrégation cistercienne vietnamienne a été fondée par un ancien missionnaire MEP, le Père Denis, jadis mon professeur au Petit-séminaire d'Anninch, qui a fait cette fondation faute de pouvoir convaincre les Pères Trappistes de France d'émigrer au Vietnam. C'est pourquoi, au Vietnam, les cisterciens sont communément dénommés, improprement : Trappistes, car ils ont adopté la vie pénitente des Trappistes, mais agrégés aux Cisterciens qui admettent une liberté plus grande dans l'organisation de la discipline monastique de chaque monastère.


Le monastère de Casamari, gouverné par le Très Révérend Dom Nivardo Buttarazzi possède beaucoup de biens, des centaines d'hectares de champs et de bois. La vie monastique n'est plus celle inaugurée par le grand Bernard de Clairvaux. C'est la conséquence de la prospérité matérielle qui mine les Ordres religieux. Les repas, à Casamari, sont simples, mais abondants et bien préparés. Les jours de jeûne sont très espacés. En dehors des offices principaux comme les Mâtines suivies de la Messe conventuelle, les moines ne vont à l'église abbatiale que le soir pour chanter les Complies avant d'aller au lit, et quelques minutes de recueillement après le déjeuner et le souper. Donc, pour la nourriture, j'y étais comme un coq en pâte.


Le Père Abbé me logea à la maison des hôtes, dans une chambre assez vaste. Dans cette maison, se trouvent aussi deux salons, l'un pour les visiteurs de l'Abbé, l'autre pour ceux des moines. En plus, outre les W.C., il y a la salle de bains chauds et des douches. Le linge est ramassé tous les samedis pour être lavé par les Soeurs qui s'occupent aussi de la cuisine et qui habitent dans un logis près de l'abbaye. Dans cet espace, près de l'entrée principale, se trouvent aussi la boutique où les moines vendent les liqueurs renommées de l'abbaye, produits de la distillation de diverses plantes récoltées en plusieurs contrées de l'Italie et qui sont toutes tenues comme reconstituantes. L'abbaye possède aussi un pensionnat annexé à un collège secondaire fréquenté par des fils de famille payant une pension adéquate, mais ouvert aussi aux petits postulants cisterciens qui y sont nourris et éduqués gratuitement. Nombre de familles des alentours de Casamari en profitent, mais la plupart de leurs enfants quittent le postulat, après les études secondaires. C'est pourquoi le noviciat n'avait qu'un seul novice...


L'Ordre cistercien, qui comprend plus de 10 Congrégations dans le monde, est régi par le Père Abbé Kleiner Sighard qui a le titre de Abbé-général, aidé du Père Abbé Gregorio, procureur et postulateur-général, ancien moine de Casamari, avec résidence à Rome. Un gouvernement assez mitigé, surtout après Vatican II qui a réduit les obligations monastiques au minimum, d'où la rareté des vocations. Car les vocations se dirigent vers les Ordres qui ont su rester fidèles à leur ancienne rigueur.


Le ministère que je me suis trouvé, moi-même, à Casamari, avec l'approbation tacite du R.P. Abbé, fut celui du confessionnal, d'abord pour les moines qui trouvent plus aisé de se confesser à un étranger plutôt qu'aux confesseurs avec qui ils ont vécu depuis le postulat. Le samedi et le matin avant la Grand-messe, mon confessionnal était ouvert aux paroissiens de Casamari, paroisse de quasiment 5000 âmes. J'avais donc assez de travail. Hors du temps passé dans ma cellule, je fréquentais l'église abbatiale, déserte, pour y faire la Via Crucis et adorer Notre-Seigneur dans son tabernacle, Solus cum solo, la plupart du temps. Je passais plus de 15 mois à Casamari, comme dans un paradis, mais il était écrit que ce beau temps allait, aussi, s'obscurcir et qu'une violente tempête m'attendait, à l'improviste.


M'étant absenté pour affaires personnelles à Rome, à mon retour j'aperçus de suite que quelque chose était changé. Le R.P. Abbé était absent. A peine étais-je dans ma chambre que je vis venir le prieur qui était mon pénitent le visage plein de tristesse, qui me dit que je devais, dans le plus bref délai, quitter Casamari et trouver un autre abri.


Pourquoi cette expulsion ? Le prieur me dit : "Le Père Abbé a été informé que vous auriez dénoncé au Vatican qu'une exposition de nus a été inaugurée dans la salle de la Bibliothèque de l'abbaye et l'Abbé a été réprimandé par le Révérendissime Abbé Sighard, la plus haute autorité de l'Ordre cistercien". Je me souvins alors de la lettre envoyée à l'Abbé Sighard par moi-même, sous le sceau du secret. Dans cette lettre, je priais cet Abbé de faire connaître au Vatican qu'un moine de Casamari accompagné d'un prêtre italien postulant de ce monastère, scandalisés de l'ouverture de l'exposition de nus et, surtout, du prospectus reproduisant ces nus, imprimé à l'imprimerie du monastère et envoyé, gratuitement, aux paroissiens de l'abbaye et aux visiteurs, portant sur la première page, après le nom de l'Abbé, mon nom et mes titres ecclésiastiques comme président d'honneur de cette singulière exposition, m'avaient averti de cette singulière exposition capable de provoquer l'étonnement du Vatican.


Dans ma lettre à l'Abbé Sighard, je disais que j'étais absolument ignorant de cette exposition et que personne ne m'avait demandé mon accord pour y figurer comme co-président d'honneur. Je priais donc l'Abbé de rétablir la vérité auprès du Vatican, mais de ne pas faire connaître, à Casamari, cette correspondance. L'Abbé Sighard avait eu l'indélicatesse de révéler à l'Abbé Butara77i le contenu de ma lettre. D'où la fureur de Butarazzi et sa décision de m'expulser illico de l'abbaye. Donc, aucune sanction pour les promoteurs de l'exposition scandaleuse, mais punition pour moi, prétendu dénonciateur des moines. Le Prieur m'accorda un délai d'un jour pour faire mes paquets et trouver un refuge.


Après longue réflexion, je me souvins de la sympathie de Mgr rEvêque de cette région envers moi. Je me rendis donc à l'évêché et lui demandais s'il y avait une chapelle quelconque, avec une sacristie où j'aurais pu mettre un lit pour coucher et une table pour travailler et où je m'installerais. L'Evêque me répondit qu'à une vingtaine de kilomètres de Casamari, sur une colline, se trouvait une belle église, avec presbytère, dont le curé ne faisait pas sa résidence, qu'il avertirait ce curé de sa décision de prêter ces lieux, en lui spécifiant qu'il restait toujours titulaire de la paroisse, mais qu'il me considérait comme prêtre habitué, avec permission d'habiter au presbytère vide et de dire la Messe à l'église.


Je remerciais l'évêque et louais une camionnette qui me transporta ainsi que mes affaires au presbytère de cette paroisse. Le curé fut enchanté de la décision de son évêque et il ne se réserva que les services liturgiques payants, comme baptême, mariage, funérailles, tandis que les autres services restaient mon lot : catéchisme, visite des malades, messe du Dimanche, etc.


Cette petite paroisse, appelée Arpino, ne comptait qu'une dizaine de familles possédant champs de blé et arbres fruitiers. C'était des paysans, donc pourvus de quelques bêtes de somme, d'un poulailler, d'un clapier. Gens à l'aise. Arpino possède un petit restaurant. L'église a un vieux sacristain, très sympathique. Certes, je devais subvenir à mes besoins, mais on me faisait des cadeaux : oeufs, lait, etc...


Je filais des jours heureux avec le petit troupeau dont j'étais le berger en second et je croyais que Arpino serait mon dernier séjour en ce monde. Or, le futur que la Providence divine me préparait, à pas accéléré s'avançait... Une année et quelques mois s'étaient écoulés : durant cette pause, j'avais fait connaissance avec nombre de gens et mon presbytère regorgeait de cadeaux : une cuisine toute neuve, un frigo qui conservait au frais les emplettes que je faisais toutes les semaines dans la ville, appelée aussi Arpino, distante d'une demi-heure de marche, mais cette distance se réduisait à quelques minutes quand mes paroissiens se rendaient en auto en vilie et m'invitaient à monter avec eux.


Dans cette ville, j'ai fait amitié avec des religieux et avec l'archiprêtre qui m'invitait à présider les grandes fêtes, surtout en la fête de l'Assomption de la Ste Vierge, fête religieuse suivie d'un festin copieux. Je rentrais chez moi avec, dans la poche, les honoraires de la messe pontificale. Tous les dimanches, on s'arrachait pour m'inviter à déjeuner. Ces amitiés me furent toujours fidèles. Mais l'orage s'approchait : à la veille de Noel, vers midi, alors que j'étais en train de préparer la crèche, la première crèche à Arpino... J'y tenais et avais consacré plusieurs milliers de lires à l'acquérir, car c'était une attraction unique pour mes enfants du catéchisme. Ces enfants étaient tout yeux, bouche bée autour de moi quand je leur montrais le petit Jésus, sa maman Marie, St-Joseph et, dans un coin, la caravane des rois Mages et que, se haussant sur leurs petits pieds, ils apercevaient l'Etoile miraculeuse. C'était facile de leur faire comprendre l'amour ineffable de Dieu devenu petit bébé par amour pour nous. Pas besoin de leur démontrer l'existence des anges, la bouche toute grande pour entonner le Gloria in excelsis... Ces enfants de paysans connaissaient les pâtres, semblables à leurs frères, les moutons qui composaient leurs petits troupeaux, St-Joseph tout chenu semblable à notre vieux sacristain. La crèche, invention sublime de François d'Assise, est un catéchisme vivant et à la portée des enfants. Je ne regrettais pas ma petite fortune, disparue dans l'achat de cette belle crèche, quand se présentait à moi un prêtre, que j'avais connu jadis à Ecône, en Suisse. Il me dit à brûle-pourpoint : "Excellence, la Ste Vierge m'envoie pour vous amener, de suite, au fond de l'Espagne pour un service à lui rendre. Mon auto vous attend à la porte du presbytère et nous partirons de suite pour être rendus là-bas à Noel."


Eberlué par cette invitation, je lui dis : "Si c'est un service demandé par la Ste Vierge, je suis prêt à vous suivre au bout du monde, mais il me faut prévenir le curé pour la Messe de Noel et préparer ma petite valise. Entre temps, comme il est près de midi, allez au restaurant du village et mettez-vous quelque chose sous la dent". Il me répondit : "Nous sommes trois dans l'auto et nous n'avons plus un sou dans nos poches, même pour payer une tasse de café". Je lui rétorquai : "Allez-y tous les trois, je paierai votre déjeuner". Déjeuner qui m'a coûté 3 000 lires.



Pour se rendre à Palmar de Troya, j'ai dépensé 50 000 lires en frais d'essence et de nourriture. Tandis qu'ils mangeaient et que je grignotais un bout de pain, j'ai convoqué le sacristain, lui demandant d'avertir le curé pour la Messe de Noel, lui disant que j'allais de suite en France pour affaire urgente de famille et que je rentrerai immédiatement dans deux semaines….

samedi 28 mai 2016

Autobiographie de Mgr Pierre Martin Ngô-Dinh Thuc, archevêque de Huê - 3/4


Pour Vinhlong, je décidais de laisser une bonne partie de l'allocation annuelle du St-Siège aux paroisses pauvres afin qu'elles puissent s'acheter des rizières. Les curés emprunteraient une somme à l'évêché et la lui rendraient , petit à petit, jusqu'à extinction de la dette. De cette manière, quand je quittais Vinhlong, toutes les paroisses étaient "auto-sufficient".

Cela suppose un assez long séjour de l'évêque dans un diocèse. J'ai pu faire quelque chose pour Vinhlong, parce que j'y restais plus de 25 ans. Il est naturel qu'un évêque ait des idées et les idées de son prédécesseur pouvaient ne pas être les siennes. Le Bon Dieu m'a favorisé en m'oubliant à Vinhlong-de 1938 à 1960. Mes deux successeurs ont trouvé un diocèse pourvu de tous les éléments essentiels pour sa vie et même des moyens que ne possèdent pas les autres missions : chaque paroisse pourvue des ressources indispensables.

L'évêque, lui-même, avait de quoi faire de nouvelles fondations, car j'avais pu avoir, à Saïgon même, un bon terrain sis sur l'artère la plus fréquentée de la capitale, la rue appelée naguère : Chasseloup-Laubat, où j'ai pu édifier une maison de passage pour nos prêtres devant rester quelque temps à Saïgon et une clinique, appelée St-Pierre, qui fournit des ressources à notre mission. Dans cette clinique, deux chambres sont réservées à l'évêque : sa chambre à coucher avec un bureau pour travailler et une petite chapelle aménagée dans l'autre chambre.

Sur la partie du terrain donnant sur rue, étaient des appartements construits par des particuliers, selon un plan approuvé par l'évêque et dont la propriété reviendrait à la mission de Vinhlong après 15 ans d'usage par ceux qui les ont construits à leurs frais. Comment avais-je pu obtenir ce magnifique terrain, au centre de Saïgon, d'une superficie de près d'un hectare ? C'est une histoire un peu longue et un peu tragique.

Du vivant de Mgr Dumortier, quand j'allais pour affaires à Saïgon, j'habitais son évêché. Après quelque temps, j'ai vu que c'était peu pratique parce que l'évêché de Saïgon n'avait qu'une chambrette pour les hôtes de passage. Quelques fois, je ne savais où loger (puisque les prêtres ne logent pas dans les hôtels). Il était donc nécessaire d'avoir un logis pour moi et pour mes prêtres. A ce moment, l'évêque de Saïgon, successeur de Mgr Dumortier, était le jeune Mgr Cassaigne. Je me présentais à lui et lui demandais de me vendre une parcelle du domaine foncier appartenant à la Mission de Saïgon, en cette capitale. Monseigneur m'a répondu que c'était chose difficile, ce domaine étant occupé par des locataires chrétiens. Il faudrait les expulser ce qui serait mal vu par le peuple.

Ayant pris congé de l'évêque, je me rendis chez un Père que je connaissais, le curé de l'importante paroisse de Cho-quan, et lui exposais mes difficultés. Le curé me dit : " Peut-être y a-t-il un moyen de trouver un terrain en ville, bien situé, mais c'est un vieux cimetière et il y a encore une douzaine de tombes. Ce cimetière, qui date de plus de cent ans, est actuellement très au-dessous de la surface de la ville et, durant les six mois de la saison des pluies, il devient un petit lac plein de moustiques. Clôturé par un mur en dur pas très élevé, il sert de latrines aux passants pressés par un besoin, car il n'y a pas de latrines publiques à Saïgon. Mais si l'on arrive à combler ce terrain, à transférer les tombes dans le nouveau cimetière, vous aurez un terrain magnifique, au centre de la ville, bordé de rues dont le rue Chasseloup-Laubat qui est très passante."

Je me rendis à l'évêché et demandais à l'évêque de me céder ce cimetière. Mgr Cassaigne se mit à rire et me dit : " Chargez-vous de déplacer les morts, ce qui sera un gros problème. Comblez ce lac et je vous le donne gratis. Je l'ai remercié vivement et prié de me faire un acte de cession gratuite, après avoir examiné le lieu. Monseigneur répliqua : " Pas besoin d'y aller. Il n'y a que les " macchabées ". Tapez-moi un acte de dossier, vous qui êtes docteur en droit canon et je vous le signerai sur-le-champ".

Une demi-heure après, nanti de l'acte de cession, scellé du sceau de Mgr Cassaigne, je me suis présenté au Gouverneur de la Cochinchine, que je connaissais parfaitement, et lui dis en plaisantant : " Monsieur le Gouverneur, depuis ce matin, je suis doublement votre sujet, car je viens d'acquérir une propriété à Saïgon même où vous avez votre résidence officielle. C'est le cimetière de Choquan sur la rue Chasseloup-laubat.". Le gouverneur me dit : " Ca fait bien mon affaire, parce que ce cimetière est devenu l'endroit le plus malsain de notre capitale- W.C. public. Si vous êtes d'accord, je vais faire déguerpir les morts. Vous vous chargerez de combler le terrain au niveau de la ville. ". Je lui dis : " Pour déguerpir les tombes, je m'en chargerai, mais l'ordre de les faire déguerpir aura été donné par vous, car les vietnamiens sont très chatouilleux quand on touche à leurs ancêtres. ". Le gouverneur fit afficher l'ordre d'enlever. L'évêque de Vinhlong fit ramasser les cendres des morts non réclamés et les fit porter dans une petite chapelle, dans le nouveau cimetière.

Donc, diriez-vous : chose faite. L'évêché de Vinhlong est devenu propriétaire d'un terrain déblayé complètement, valant des millions de piastres et de bâtiments en dur, situés au centre de la capitale du Sud. Hélas, ce n'était pas fini. Ce terrain est devenu un sujet de litige entre Mgr Cassaigne et Mgr Drapier, notre Délégué apostolique et moi-même. La raison, en ce qui concerne Mgr de Saïgon : " Vous êtes, m'a-t-il écrit, docteur en droit canon, vous savez donc bien qu'un immeuble qui vaut des millions ne peut changer de propriétaire sans autorisation du St-Siège. Or, l'ancien cimetière de Choquan vaut des millions. Donc, ma dotation faite à vous est invalide. Je reprends le terrain.".

Pour le Délégué Apostolique, qui était prié par Mgr Cassaigne de juger le litige entre les deux évêques, la raison de son mécontentement contre moi était ceci : A son injonction de lui envoyer mon dossier sur l'affaire du cimetière et mes arguments contre la rétrocession à Mgr Cassaigne. J'ai dû, malgré mon respect et ma gratitude envers celui qui m'avait sacré évêque, répondre : " Non possumus ", car le Délégué n'a aucune juridiction sur les évêques et le clergé ainsi que sur les fidèles qui se trouvent dans le pays dépendant de sa Délégation. Il n'a que le devoir de référer au St-Siège l'état de sa Délégation. De plus, ni lui ni moi-même n'avions le temps pour cet échange de vues et encore moins pour lui développer les arguments en ma faveur.

Les deux prélats durent donc en appeler à la S.C. de la Propagande. Ils étaient sûrs de gagner leur cause. Mgr Cassaigne, durant la retraite annuelle pour le clergé de Saïgon et Vinhlong réuni au Séminaire de Saïgon, en informe les prêtres retraitants, leur assurant que l'évêque de Vinhlong serait battu à plate couture. Hélas, la retraite se termina avant Noel et, dans les premiers jours de l'Année nouvelle, comme cadeau du Nouvel An, les deux prélats reçurent de Rome une lettre les informant que l'évêque de Vinhlong avait raison : ", car si le cimetière a, actuellement, de la valeur, cette valeur est due à la sagacité de Vinhlong par le déblaiement des tombes. Dans l'ancien état, il n'avait aucune valeur pécuniaire".

Ceci pour constater combien la connaissance du Droit canonique est utile, et même indispensable, pour un évêque. Autrement, il peut violer ces lois au détriment de ses sujets, à moins qu'il n'ait, près de lui, un prêtre ayant fait de sérieuses études canoniques pour le conseiller. Mgr Cassaigne ne prit pas la chose tragiquement : il avait voulu défendre les intérêts de Saïgon, il s'était trompé. Nous restions amis comme avant. Pour Mgr Drapier, cet échec sera compté dans le dossier de ses mécontentements contre moi.

Mgr Drapier était un Dominicain, pieux, instruit; il avait été envoyé comme missionnaire du côté de Mossoul, en Asie Mineure, c'était donc un missionnaire capable. Là-bas, il avait été Père spirituel des Soeurs Dominicaines s'occupant des orphelines de ces pays d'Orient où, de temps à autre, des haines séculaires-politiques ou religieuses-se déchaînaient en massacres, d'où ces orphelinats. Le Père Drapier vivait en curé missionnaire, non dans un couvent comme ses frères en Religion, en Europe. Il avait donc cuisinier et domestique. Son cuisinier était un orphelin libanais. Le Père Drapier le maria à une orpheline des Soeurs et amena le couple avec lui quand il devint Délégué Apostolique au Vietnam.

La Délégation Apostolique se trouvait alors à Hué, encore capitale de l'Annam (centre Vietnam). Il traitait ce couple, qu'il avait connu enfants, comme ses propres enfants. Ainsi, quand il n'avait pas de convives, il prenait ses repas avec ses deux enfants adoptifs. Eux logeaient au-dessus de la cuisine. Le mari faisait les courses pour Monseigneur le Délégué qui lui avait fourni une auto. Sa femme faisait le ménage de la Délégation et tenait l'immeuble bien propre. Quand cette ménagère devint enceinte, afin qu'elle ait plus de confort, Monseigneur lui permit de s'installer près de lui, dans le palais de la Délégation, ce qui n'était pas conforme au Droit canonique qui interdisait la cohabitation des prêtres avec les personnes du sexe, sauf le cas des parents (mère, soeurs du prêtre).

Au Vietnam, et peut-être en France et ailleurs, tout se sait. A Hué, alors, il y avait pas mal de Français dans l'administration coloniale, ils ne se privaient pas de plaisanter sur cette cohabitation. Ces rumeurs parvinrent aux oreilles des Evêques apostoliques au Tonkin. Ces prélats, par l'expérience acquise de longues aimées au Vietnam, crurent devoir en parler à leur confrère en Religion. Je ne sais comment leur intervention fut reçue par Mgr Drapier. Ils se tournèrent vers moi et m'adjurèrent d'intervenir. Ayant réfléchi longuement, j'ai cru devoir en parler secrètement à Monseigneur, qui avait été mon consécrateur, lui relatant les propos de ses compatriotes à Hué. En retour, Monseigneur m'écrivit une lettre terrifiante dans laquelle il déclarait que s'il voulait mal se conduire, il aurait pu le faire du temps de son service militaire... Depuis cet éclat, Monseigneur n'avait plus d'amitié pour moi. Vint l'affaire du cimetière et, enfin, l'affaire de Bâo-Dai.

L'affaire de Bâo-Dai.
L'empereur Bâo-Dai devenait de plus en plus impopulaire.

Je ne sais pas pourquoi, Mgr Drapier se souvint de moi, me convoqua et me demanda de prendre la cause de ce débauché Bâo-Dai. Voici les raisons de l'intervention du Délégué Apostolique : St Thomas d’Aquin, la gloire de l'ordre dominicain, aurait enseigné que la Monarchie était le gouvernement idéal pour le monde et que lui, étant Dominicain, se devait d'aider Bâo-Dai. Qu'il ne pouvait le faire publiquement, étant représentant religieux et non pas politique. Il avait jeté son dévolu sur moi qui avais quelque influence dans les milieux vietnamiens, surtout parmi les catholiques.

Je lui répondis franchement : " Monseigneur, mon devoir comme citoyen est de payer les impôts et d'observer les lois de l'empire. Quant à l'excellence de la monarchie sur toute autre forme de gouvernement, il s'agit de distinguer quelle sorte de monarchie : absolue ? constitutionnelle ? monarchie protégée par un pays étranger ? Sur quelle catégorie de monarchie parlait St-Thomas d'Aquin ? Comme évêque je ne peux faire de politique, quelque soient mes préférences. Les Papes, suivant l'exemple des Apôtres, nous font un devoir de ne pas s'occuper de politique.

Cette fois encore, Mgr Drapier fut mécontent de moi, mais ne pouvait démolir mon raisonnement. J'étais devenu "un drôle de type" pour lui. Il le montra clairement quand, interrogé par les évêques Mgr Lô-hun-Tu et Pham-ngoc-Chi s'ils devaient lever des troupes pour combattre les communistes, Mgr Drapier leur répondit : "Faites tout ce que vous voulez pourvu que vous n'écoutiez jamais Mgr Ngô-dinh-Thuc". Ce propos fut répété à moi par Mgr Lê-lem-Tu qui leva des troupes parmi ses ouailles de Phât-diem, aidé par Mgr Pham-ngoc-Chi, évêque de Bui-chin. Ils furent battus à plate couture et durent se réfugier au Sud-Vietnam. Les activités de Mgr le Délégué Apostolique Drapier ne plurent pas au Vatican qui le rappela sèchement à Rome. Mgr Drapier en conçut un grand mécontentement et rentra en France, directement, sans s'arrêter à Rome pour rendre compte de ses activités diplomatiques et religieuses, accompagné de ses deux enfants d'adoption (les orphelins du Moyen-Orient) et mourut, les ayant à son chevet.

Quant à Bâo-dai, il vit encore en France au crochet d'une de ses multiples concubines.

Ayant pourvu aux besoins spirituels et matériels de mon Vicariat apostolique, je croyais pouvoir prendre un peu de repos. Je fus alerté par la S.C. de la Propagande, en même temps que les autres évêques du Sud-Vietnam, du désir du Souverain-Pontife de voir surgir au Vietnam une Université catholique dont une des langues officielles serait le Français, afin de former, outre les Vietnamiens, les Cambodgiens et les Laotiens, naguère protégés français.

Pour répondre à l'appel du St-Siège, l'épiscopat du Sud-Vietnam (celui du Nord ne pouvant participer à la réunion, étant sous régime communiste), composé d'une majorité vietnamienne avec trois évêques français : celui de Quinhin, de Konhin et un évêque dominicain réfugié du Nord, s'est réuni à Saïgon. Tout le monde était ébahi; faire une université ? D'abord, avec quoi construire l'Université ? Faire appel aux chrétiens ? Or, la majorité des chrétiens originaires du Sud est de condition modeste. Les chrétiens (presque un million) réfugiés du Nord n'avaient emporté de là-bas que leur crucifix, une image de la T.S. Vierge et un ballot de vêtements. C'était le Gouvernement de Ngô-dinh-Diem qui les aidait à ne pas crever de faim et leur octroyait des allocations mensuelles jusqu'à ce qu'ils réussissent à se suffire. Donc, demander à ces pauvres affamés des millions pour faire une université ?

Supposions que nous trouvions de quoi faire une Université, où trouver le personnel enseignant? Humainement parlant, il fallait répondre : "Non possumus" au St-Siège. Celui-ci, tout au plus, nous donnera quelques milliers de dollars américains: une goutte d'eau pour arroser un désert et le faire fleurir. Comme j'étais le doyen, tout le monde se tourna vers moi. Moi, l'évêque d'un vicariat qui venait de naître et qui commençait seulement à vivre d'une façon normale... Faire une université ? Je savais ce qu'était une Université, soit à Rome, soit à Paris. C'était tenter le Bon Dieu, lui demander un miracle : ce serait une vraie création, comme on le dit en Latin:
" Ex nihilo sui et subjecti ". Cela veut dire : susciter du néant un nouvel être. Mais le St-Siège le veut. Le St-Père, représentant Dieu, le veut. Les Vietnamiens sont des gens qui croient en la puissance de Dieu et, toujours, ont été ses enfants obéissants.

Le pauvre Doyen répondit à l'assemblée : "Le St-Siège la veut, cette Université, donc Dieu la veut. Qui, d'entre nous, devra la faire bâtir et l'organiser et la faire vivre et croître ? Personne ne répondit à ma question. A moi donc de répondre : "Mes chers collègues, je me jette à l'eau. Priez le Bon Dieu que je ne me noie pas. J'ai besoin d'un miracle de première classe!".

On se sépare, mes collègues heureux d'être sortis sans perdre une plume, le moindre duvet, tandis que le pauvre doyen reste, seul, à cogiter. D'abord trouver l'argent! A force de prier, de faire prier, de demander des conseils un peu partout, quelqu'un avança l'idée suivante : "Monseigneur, si vous réussissiez à obtenir la permission d'exploiter une forêt qui se trouve à une trentaine de kilomètres de Saïgon, une forêt avec des arbres séculaires, vous trouveriez facilement des acheteurs : par exemple, les milliers de chinois qui habitent Cholon, à deux pas de Saïgon. Ils ne demanderaient pas mieux que de prendre tous les lots de bois que vous auriez fait couper pour les expédier au marché mondial de Hong-Kong, car le monde entier a besoin de bois".

Mais voici les difficultés! Obtenir du Gouvernement le droit d'exploitation, moyennant redevances et surveillance du Service forestier, naturellement. Secundo : faire une route d'une trentaine de kilomètres, de la forêt jusqu'à Saïgon. Tertio : Trouver un bon contremaître qui se chargera de louer des bûcherons assez courageux pour affronter les bêtes sauvages et surtout les communistes, plus terribles que les fauves. Au Séminaire d'Anninh, j'avais appris cette phrase : "Tentare, quid nocet ? Essayer pour voir, cela ne fait pas de mal". Donc, je me mis à solliciter du Gouvernement de mon frère le permis de coupe. Mon frère me dit : "Adresse-toi à mes ministres. Je ne puis te donner ce que tu demandes, quoique je suis aussi pour la création d'une nouvelle Université, car nous n'en avons qu'une seule, celle de Saïgon qui vient de naître ". (Naguère, il n'y avait qu'une Université en Indochine française, celle de Hanoï, et deux lycées, à Hanoï et à Saïgon, sans compter le Collège secondaire de la Providence dont j'ai été le Proviseur à Hué).

Je soumis ma requête au Conseil des Ministres. Le vice-président engagea ses collègues à m'octroyer le permis de coupe, vu l'utilité d'une deuxième Université au Sud-Vietnam. Naturellement, je devrai payer ce permis au Gouvernement et me soumettre aux inspections des forestiers.

Pour diriger l'exploitation, la Providence suscita un homme très débrouillard; ancien étudiant en France, il avait étudié le Droit et travaillait comme greffier d'un tribunal. Il se présenta à moi et m'assurait qu'étant catholique, il désirait collaborer à l'ouverture d'une Université catholique et ne demanderait aucune rétribution ayant une fortune personnelle. Cet homme vit encore, réfugié en France. Je ne veux pas dire son nom, car, d'une part, il m'a très bien servi. Il savait trouver des bûcherons, traiter avec le service forestier, affronter les bêtes sauvages qui pullulaient dans cette forêt de plus d'un millier d'hectares, composer peut-être avec les guérilleros communistes; il savait aussi se servir, sans doute. Enfin, réfugié en France, il m'escroqua trois millions de francs, sous prétexte d'une bonne affaire : aller en Extrême-Orient, acheter des chevelures de femmes pour les revendre à une société américaine, car les femmes européennes et américaines auraient besoin de postiches... Il me montra des lettres d'acheteurs éventuels, français et américains. Je les soumis à des experts français : tous étaient d'accord que le projet était intéressant, qu'on pouvait y aller sans crainte. Or, c'était un coup de Jarnac. Cet homme prit les trois millions de francs d'alors et plongea dans la Babylone qu'est Paris et j'ai su, plus tard, qu'il a employé cet argent pour monter un restaurant vietnamien. Je lui souhaite bonne chance.

Son aide m'avait permis de bâtir l'Université, de lui assurer des rentes annuelles en achetant les meilleurs bâtiments de Saïgon, vendus à perte par les Français qui fuyaient le Vietnam du Sud qui allait (selon l'opinion des étrangers) tomber sous la coupe des communistes du Nord. J'avais l'intention de donner, à celui-là, la librairie Portail, la meilleure de Saïgon, qui valait plusieurs millions, comme récompense pour ses aimées d'activités au service de l'Université. Nous sommes donc quittes : ces trois millions, qu'il m'a escamotés, ne valaient pas l'ex-librairie Portail. J'effaçais son nom de mon testament.

Je m'attaquais bientôt à la deuxième difficulté : faire une route convenable de la forêt à Saïgon. Problème facile des chrétiens du Sud, assez riches, me prêtèrent de quoi acheter un bulldozer. En quelques mois, j'eus une bonne route de trente kilomètres, m'appartenant, juste à temps pour écouler la première expédition du beau bois de ma forêt.

De temps à autre, le gérant de l'exploitation de ma forêt, qui était aussi un grand chasseur devant le Seigneur son nom est Kham-quang-Lôc-m'envoyait le butin de ses chasses à Vinhlong : quartiers de sanglier, bois de cerf. Nous avions bien quelques difficultés avec les gardes forestiers habitués à faire payer leurs expertises, mais c'est compris dans les comptes...

Ces gardes étaient stimulés, secrètement, par le Ministre de l'Agriculture et des Forêts, un paien qui détestait les catholiques, mais n'osait montrer trop son anti-catholicisme de peur d'être démissionné par le Président, mon frère. Pour moi, je faisais comme le singe qui bouche ses oreilles et ferme les yeux. Pourquoi se gendarmer contre les coups d'épingle ? Pourvu que l'oeuvre du Seigneur avance... Or, le Seigneur pousse puissamment le chariot. De la forêt exploitée, j'ai ramassé assez d'argent pour bâtir une Université à l'américaine et acheter les grands bâtiments à Saïgon (comme je l'ai mentionné plus haut) mis en vente par les Français devant ce qu'ils considéraient comme imminente une promenade militaire des hordes communistes du Nord de Hô-chi-minh vers le Sud et qui balayeraient comme fétus de paille la République de mon frère. Donc, sauve qui peut.

Ces bâtiments, convertis en de vastes rez-de-chaussée, dont chaque mètre carré sera loué, à prix d'or, aux vendeurs, surtout chinois, et dont les étages seront convertis en appartements de luxe loués, en dollars US, aux officiers américains qui commandaient les Forces U.S.A. en Indochine, rapportèrent suffisamment pour l'entretien des bâtiments de l'Université, pour payer les professeurs et les employés.

Ainsi, l'Université de Dalat était, peut-être, l'unique au monde à être autosufficient et à pourvoir de bourses les catholiques trop pauvres pour couvrir leurs frais de nourriture et de scolarité. Au lieu de faire vivre, comme ailleurs, l'Université par leurs aumônes, les catholiques étaient nourris, hébergés, gratuitement, par l'Université.

Ou situer cette Université ? Le Sud-Vietnam a un climat tropical, pénible pour le travail physique et surtout intellectuel, durant les six mois de la saison chaude, car, pratiquement, il n'y a que deux saisons, saison des pluies et saison chaude. Saison des pluies, Octobre à Mars. Saison sèche, Avril à Septembre. En Cochinchine, la saison sèche est tempérée par un violent, mais bref orage dans l'après-midi. Pour pouvoir étudier commodément, il faudrait climatiser tous les bâtiments, ce qu'on fait les Américains travaillant au Sud-Vietnam, mais les Vietnamiens ne possèdent pas les dollars...

Heureusement, au Sud-Vietnam, se trouve un plateau à quasi 1000 mètres d'altitude, découvert par un français, le docteur Yersin, à 100 kilomètres à peu près de Saigon, que l'on peut atteindre en moins d'une heure par avion ou une demi-journée de camion par une route de montagne. Ce plateau, où poussent les pins, où le climat est un printemps perpétuel, où les fleurs et les légumes des pays tempérés poussent à foison, où des cascades déversent une eau limpide et fraîche, où un petit lac offre de l'eau buvable et des poissons, se nomme Dalat.

Là, étudier serait un vrai plaisir et les sports se pratiqueraient facilement. Le site fut donc choisi par votre humble serviteur comme siège de la future université. A cette époque, le terrain ne coûtait pas trop cher et je m'empressai d'en acheter des lots considérables en vue des futurs agrandissements. Or, là où j'allais bâtir, se trouvaient déjà des bâtiments en dur qui avaient servi d'école pour les enfants de troupe français. La France, selon les accords, avait remis ces bâtiments au Gouvernement de mon frère le Président. Celui-ci, prié par moi-même; au sujet de l'acquisition de ces bâtiments, m'a suggéré de m'adresser à l'ambassadeur de France au Vietnam. Celui-ci, pressenti par moi, a émis le voeu que ces bâtiments fussent attribués à une institution qui enseignerait la langue française, en souvenir de la France. Le vœu de la France concordait avec celui du St-Siège qui nous avait demandé d'ouvrir une institution universitaire dont la langue fût la langue française commune aux Vietnamiens, aux Cambodgiens et aux Laotiens.

Je reçus donc comme cadeau ces beaux bâtiments, ainsi que quelques petites villas à l'entour qui avaient hébergé les instituteurs des enfants de troupe. Ces bâtiments, avec quelques réparations, constituaient le berceau de l'Université. J'achetais les terrains autour de ce noyau, soit plus de dix hectares pour l'Université, sans compter d'autres centaines d'hectares pour les agrandissements futurs.
Avec un terrain spacieux, avec l'argent fourni par l'exploitation de la forêt, il était naturel que j'adopte le concept américain pour édifier mon Université des bâtiments séparés, tout au plus d'un seul étage, pour chaque matière d'enseignement, une vaste pension pour loger les étudiants dans l'université même, une belle chapelle avec un clocher surmonté d'une croix, édifiée sur une éminence et, ainsi aperçue par tout Dalat; près de la chapelle, un terrain pour le séminaire universitaire et ses professeurs, les Pères jésuites, qui amèneront leurs clercs jusqu'à la licence en théologie, une maison pour les religieuses envoyées par les diverses congrégations, une pension pour les étudiantes, des kilomètres de routes sillonnant l'Université, un camp de football et d'autres camps pour le handball, etc... le reste est tapissé d'un gazon toujours vert, ombragé ça et là par des arbres majestueux. Le silence régnant partout...

Qui va s'occuper de bâtir cette petite cité ? J'eus encore la chance de trouver un bâtisseur, un prêtre belge d'extraction allemande, diplômé ingénieur de l'Université de Bruxelles où avait professé son père, un athée. Car mon futur collaborateur n'avait pas connu le Bon Dieu jusqu'à 20 ans. A cet âge, le Bon Dieu lui donna ainsi qu'à sa soeur la grâce de la conversion. Une conversion chèrement payée, car son père, outré de voir son unique garçon passer au catholicisme, jette ses effets par la fenêtre de son logis et le chasse de la maison paternelle pour toujours. Le garçon se fit missionnaire dans la Congrégation fondée par le célèbre Père Lebbe, celui qui, comme vicaire général de Pékin, préconisa la remise des pouvoirs épiscopaux aux Chinois, fut expulsé de sa congrégation et alla fonder une petite congrégation chinoise des Petits-Frères et la Société missionnaire ayant pour but de se mettre au service des évêques indigènes.

Mon futur collaborateur, ordonné prêtre, fut envoyé à Phat-Diem, au service de Mgr Lé-hun-Tu (le futur général en chef de l'année catholique dans la guerre contre les communistes). Là, le prêtre-ingénieur installa l'électricité dans la petite ville de Phat-dièm, enseigna les mathématiques aux séminaristes. Après la fuite de son évêque vaincu par les Rouges, ce Père belge demanda mon hospitalité. Je le nommais professeur au petit Séminaire où, malgré son ignorance de la langue vietnamienne, il réussit à expliquer les théorèmes géométriques et algébriques à ses étudiants.

Le Père Willich (c'est son nom), comme adulte converti et vocation tardive, avait un caractère très dur; il était difficile à vivre, mais il avait une sympathie pour le Président, mon frère Diem, et pour moi. Il nous est resté toujours fidèle dans les épreuves et dans ses propres épreuves, séquelles de son caractère très entier. Ce fut donc lui qui bâtit les divers immeubles et la chapelle de l'Université, fit réparer les petites villas autour de l'Université. Il le fit avec économie. Il eut un peu de chagrin quand il apprit qu'il n'était pas nommé recteur de l'Université. Je n'ai pas pu le faire, c'eût été contraire à l'esprit du St-Siège et à l'esprit de sa Congrégation qui avait été fondée par le saint Père Lebbe pour aider le clergé et non pas le dominer.

Les bâtiments achevés, il prit congé de moi et contracta un engagement avec les Américains venus au Vietnam pour l'installation de l'électricité, le forage des puits et d'autres projets utiles à notre pays. Mon frère, le Président, lui accorda une importante décoration, lui paya un voyage aller-retour pour se rendre en Belgique voir sa soeur et se reposer. Après l'assassinat de mes frères, il regagna l'Europe et est, actuellement, en France curé d'un petit centre ouvrier.

Il a toujours la nostalgie du Vietnam, mais ses démarches auprès des évêques qui l'ont connu, comme Mgr Tham-ngoc-Chi lieutenant de Mgr Lé-hûn-Tû n'ont pas abouti. Je n'ai rien pu faire pour lui, car les Américains obligèrent les Gouvernants du Sud à me fermer la rentrée dans ma patrie, car j'étais considéré comme un pacifiste, contre la guerre fratricide entre le Nord et le Sud. J'ai eu, quand même, le plaisir de le rencontrer en Belgique où il me présenta à sa soeur, épouse d'un grand industriel. J'ai passé quelques jours pour me reposer dans la résidence d'été de cet industriel.

A propos de la Congrégation pour l'aide au clergé indigène, crée par le Père Lebbe, je crois qu'il me faut parler du Père Raymond de Jagher, un belge lui aussi, mais d'un caractère diamétralement divers de celui du Père Willich. Il a été très apprécié par mon frère le Président. Il avait été au service des évêques chinois, fut emprisonné par les communistes de Mao-Tsé-Tung et écrivit un beau livre sur ses cachots puis, relâché, il se mit au service du cardinal Yupin à Formose. Dans l'entretemps, il vint à Saïgon où, avec l'aide de mon frère, il ouvrit une école pour les chinois. Le Père de Jagher parle, écrit le chinois comme sa langue maternelle. Il parle l'américain et, actuellement, passe son temps à faire des conférences en faveur des catholiques chinois sortis du pays et aussi pour l'aide aux Vietnamiens réfugiés en Amérique et ailleurs. C'est un missionnaire fidèle à l'idéal du P. Lebbe.

Maintenant, il me fallait organiser les études de l'Université. Pour commencer, nous allions ouvrir les Facultés de Lettres, puis les Facultés de Sciences, celles qui ne demandent pas beaucoup d'appareils donc : philosophie, Histoire, Langue vietnamienne, française, anglaise, mathématique, sans compter la Faculté de Théologie et de Philosophie sous la direction des Pères Jésuites.

Les professeurs étaient recrutés parmi les missionnaires ou religieux européens se trouvant en Cochinchine; des professeurs de l'Université de Saïgon, pour la plupart non catholiques, tenaient des chaires dans notre Université. En prenant l'avion, ils pouvaient joindre Dalat en moins de trois quart dlieure. Après leurs cours, ils se reposaient au frais dans le climat printanier et l'atmosphère très agréable de Dalat, prenaient leur repas avec les Pères de l'Université et rentraient à Saïgon après un week-end reposant. Ma forêt me permettait de leur offrir un cachet rémunérateur. Comme je ne pouvais résider en permanence à Dalat, je pris le titre de Chancelier de l'Université, entouré d'un conseil de quelques évêques, dont Mgr Hiên, évêque de Dalat, mon ancien élève au Grand Séminaire de Hué, et Mgr Piquet des M.E. de Paris, évêque de Nhahang. Je nommais recteur de l'Université, le Père Thiên, que j'avais envoyé en France prendre ses titres universitaires.

Donc, la miséricorde du Seigneur m'a permis de réaliser ce projet qui avait été considéré comme utopique quand le St-Siège nous l'avait proposé. Plus de 15 années ont passé depuis sa fondation. Je suis exilé en Europe. On a fêté ces 15 années d'existence par des fêtes grandioses qui virent les évêques du Vietnam-Centre et Sud réunis avec des représentants du Gouvernement de Saïgon (pas encore tombé dans les griffes des communistes), le St-Siège a envoyé un message d'éloges, plusieurs discours ont été prononcés. On a seulement oublié le fondateur de l'Université, car son nom ne plaisait pas au Vatican actuel. Tout est bien qui finit bien. J'ai fait l'Université pour obéir au Vatican d'alors. Dieu m'a aidé. A lui tout honneur et toute gloire dans les siècles des siècles. Amen.

Après le départ de Mgr Drapier, nous avons eu un Délégué Apostolique irlandais : Mgr Dosley, ancien Procureur des Missionnaires Irlandais (et ensuite des Australiens) de Saint-Columban. Il a été choisi et dut apprendre le Français pour communiquer avec nos missionnaires, nos prêtres et nos Autorités. Mgr Dosley est un saint homme (il vit encore), mais n'a jamais connu auparavant le Vietnam qui, alors, était sous le régime français. Il ne réalisait pas la menace des communistes de Ho-chi-Minh

Nous avons eu des différends entre lui et moi. Il me traitait de défaitiste quand je lui ai proposé de prendre des précautions pour minimiser les dommages si jamais les communistes avaient le dessus. Par exemple : faire traduire tous les manuels de philosophie et de théologie, employés dans nos séminaires, en vietnamien; prévoir des caches pour le vin de Messe, car la vigne qui pousse au Vietnam ne donne pas du raisin propre à faire du vin de Messe; ne pas publier le nom des nouveaux prêtres; demander au St-Siège la faculté pour chaque Evêque de nommer un ou deux successeurs, sans en demander l'autorisation au St-Siège, en cas de rupture de communication avec le Vatican, etc... Mgr Dosley, se confiant aux dires optimistes de Farinée française me taxait de pessimiste. Il fut surpris par la vague des communistes à Hanoï et devint leur prisonnier pendant des mois avec son secrétaire, un prêtre de Saint-Colomban, son compatriote. Il ne fut relâché qu'à bout de forces physiques et morales et emporté sur un brancard dans un avion pour rejoindre l'Europe. Après une longue convalescence, en me rencontrant exilé à Rome, il m'a dit humblement : " Monseigneur, vous avez eu raison sur toute la ligne ". Je n'étais ni prophète ni devin, mais prévenir ne fait pas de mal, tandis que se laisser, par négligence, prendre au piège est impardonnable. Actuellement, le St-Siège a dû permettre aux évêques du Vietnam d'avoir un ou deux évêques auxiliaires dont un coadjuteur de leur vivant.

Après Mgr Dosley, nous avons eu d'autres Délégués Apostoliques tels Mgr Brini, actuellement Secrétaire de la S.C. Orientale, Mgr Caprio, qui a pris la place de Mgr Benelli créé Cardinal de Florence.

Mgr Brini était délégué Apostolique quand le St-Siège a établi la hiérarchie au Vietnam, car auparavant, les Evêques n'étaient que vicaires apostoliques. Mgr Brini était donc chargé d'aller installer les Vicaires apostoliques devenus, alors, ou archevêques (pour Saïgon, Hué et Hanoï) ou évêques pour les autres diocèses. Mgr Brini est allé à Hué pour m'installer comme Archevêque puis, trop fatigué par notre climat, il me délégua pour aller installer les Evêques appartenant à la sphère d'influence de l'Archevêché métropolitain de Hué. C'est pourquoi je dus aller à Quinhn, à Kontum et ailleurs pour y installer les titulaires. Mgr Caprio était plus diplomate que Mgr Brini qui n'avait pas fait l'Académie des Nobles ecclésiastiques où l'on formait les futurs diplomates du St-Siège (là où fut formé Paul VI), tandis que Mgr Brini, une vocation tardive, se fit prêtre après avoir conquis son Doctorat en Droit civil et entra au Russium, séminaire pour les Russes catholiques. Il y a appris cette langue, ce qui lui servit de marchepied pour être, actuellement, Secrétaire de la S.C. Orientale et futur cardinal, si Dieu lui prête vie.

Etant, depuis plus de 40 ans, en relation avec un bon nombre de représentants du St-Siège comme Délégués Apostoliques, parmi lesquels quelques-uns choisis parmi les missionnaires et d'autres, diplomates de profession, ayant appris le métier à l'Académie pontificale ecclésiastique, jadis Académie Pontificale des Nobles Ecclésiastiques, fondée en 1701, je crois pouvoir faire cette observation : Quel est le rôle de ces représentants du Saint-Siège ? Informer Rome de l'état religieux dans le territoire de la Délégation. Pour remplir ce rôle, les missionnaires de profession me semblent plus expérimentés que de jeunes diplomates qui n'ont été en relation qu'avec les diocèses, déjà organisés, d'Europe.

La nationalité de ces Délégués, sortis de l'Académie pontificale, était surtout italienne, il y a moins de dix ans : Italiens originaires du Sud pour la plupart, là où la pauvreté est la condition normale du clergé. Pour y échapper, il n'y a qu'une porte : celle de la carrière diplomatique où l'on est très vite bombardé préfet et ensuite archevêque; on a le privilège de voir du monde, car les diplomates changent de poste au moins tous les dix ans. Ils prennent leur retraite comme Cardinaux et deviennent, souvent, Préfets des S.Congrégations et, quelquefois, Souverains Pontifes. Donc, la diplomatie mène à tout. Mais est-ce de cette façon que Jésus a formé ses Apôtres ? Je ne sais que répondre. Ma petite expérience personnelle me dit qu'on pourrait faire mieux pour le bien de l'Eglise.
Je suis arrivé, maintenant, à un tournant de ma vie ecclésiastique. Après 22 ans d'épiscopat, je suis transféré à l'Archevêché de Hué, comme métropolitain, lors de la transformation de la hiérarchie du Vietnam, naguère Vicariats apostoliques, en évêchés et archevêchés quoique toujours dépendants de la S. Congrégation "de Propagande Fidé ", actuellement appelé aussi : S. Congrégation pour "l'Evangélisation des peuples".

Pourquoi à Hué, ma cité natale ? Or, d'ordinaire, l'Eglise évite de nommer un évêque au gouvernement d'un diocèse dont sa famille est originaire. La raison est évidente. Au Vietnam, les anciens empereurs évitaient aussi de nommer gouverneurs d'une province ceux qui en étaient originaires, car on aurait pu les soupçonner de favoriser leur famille. Or, à Hué, vivaient encore ma mère, mes soeurs et mes frères. Mon ancien professeur, le cardinal Agapanian, Préfet de la S.C. de la Propagande m'a révélé la raison de cette exception. "Mon fils, m'a-t-il dit, tu aurais dû être l'archevêque de Saïgon, mais à Saïgon règne ton frère, le Président Diem. En devenant archevêque de Saïgon, les pouvoirs politiques et religieux auraient été tenus  par les membres d'une même famille. Voilà pourquoi on t'a nommé à Hué puisque Hanoi est aux mains des communistes ".

Ma destinée semble être celle de relever les ruines, outre celle de créer de toutes pièces, soit un évêché : celui de Vinhlong, soit une université : celle de Dalat. Travail très dur, surtout lorsqu'on doit partir de zéro, mais il y a un avantage : on est libre de faire ce qu'on veut. Tandis que relever les ruines implique le soin de conserver ce qui pourrait encore servir. Or, à Hué, vieil évêché, si je devais construire un petit séminaire tout neuf, l'ancien séminaire d'Anninh étant dans la zone communiste, le Grand-séminaire de Phu-xuan, vénérable immeuble datant quasi de 100 ans et contenant, jadis, tout au plus une trentaine de clercs, devait être agrandi pour recevoir à la chapelle, dans les salles de cours, au dortoir, plus d'une centaine de grands séminaristes appartenant à Hué et aux évêchés dépendant de l'archevêché métropole. Heureusement, le terrain ne manquait pas.

Le diocèse de Hué, connu par le renom de son clergé, docte et pieux, était le plus pauvre du Vietnam. La raison ? la persécution, qui a duré plus de 200 ans, avait fait main basse sur toutes les propriétés du diocèse et des paroisses du Vietnam. Quand la paix religieuse fut établie par la conquête française, le gouvernement vietnamien dût octroyer aux Missions catholiques des indemnités pour la destruction des églises et autres établissements catholiques. Les Missions employèrent cet argent soit à l'achat de rizières, soit à la construction d'églises. A cette époque-là, Hué avait un évêque venu de la Cochinchine, Mgr Caspar, un alsacien des M.E.P. Or, en Cochinchine, la Mission subsistait grâce aux rizières. Ce prélat voulut donc appliquer la même politique qu'à Saïgon et fit l'acquisition de rizières avec les indemnités affectées au diocèse de Hué. Or, la situation des rizières à Hué était tout à fait différente de celle de la Cochinchine où il y avait de bonnes rizières et à meilleur marché. Tandis qu'à Hué, il y a peu de rizières et surtout peu de bonnes rizières. Les agents, employés par l’Evêque pour l'achat des rizières, n'étaient pas tous honnêtes. Le résultat fut tragique : on acquit à prix d'argent des hectares de sable ou des rizières sensées achetées alors que leurs vrais propriétaires ne les avaient pas vendues, d'où querelles terribles quand les gens de l'Evêché allaient labourer ces champs... Le désastre était irréparable.

Je me trouvais devant une situation impossible. Heureusement, mon frère, le Président Diem, m'aidait généreusement et discrètement. Grâce à ses aumônes dont Dieu seul connaissait le nombre, j'ai pu construire un petit séminaire moderne à deux pas de l'évêché et agrandir mon Grand-séminaire, réparer la cathédrale tombée en ruines, moderniser l'évêché pour y recevoir les prêtres de passage, bâtir une maison pour les prêtres âgés.

Un problème occupa mes réflexions : comment sortir le diocèse de Hué de sa pauvreté. Comment, ainsi que j'avais réussi à le faire à Vinhlong, doter chaque paroisse de quoi subvenir à ses besoins normaux ? Or, justement à cette époque, le gouvernement de mon frère Diem émit une loi agraire instituant des prêts pour le reboisement des terrains incultes appartenant à des communautés ou à des villages.

Or, dans les provinces de Thûa-Thiâa (Hué) et de Quangtri qui constituent mon archidiocèse, se trouvent des terrains sablonneux qui se vendent pour un prix minime. J'ai donc introduit une requête demandant à l'Etat un prêt de plusieurs millions de piastres pour reboiser ces terrains. Après dix ans, nous rembourserions l'Etat de l'argent prêté avec intérêts. Je réunis mes prêtres et leur exposai le projet : si une paroisse, ayant des terrains incultes à proximité, désire un prêt pour cultiver ces terrains, le curé, avec l'assentiment de sa paroisse, m'enverrait mie requête dans laquelle seraient indiqués la superficie de ces terrains, le montant du prêt nécessaire, la nature des arbres à planter. Après examen par le Conseil de l'évêché et mûre délibération, le prêt serait remis au Curé et il commencerait le reboisement. Et tous les ans, à l'époque de la retraite annuelle, il référera au Conseil épiscopal de son travail. L'inspection des lieux et des résultats serait faite par des doyens du district de l'intéressé.

La plupart des curés présentèrent des requêtes selon ce schéma. Sur ces terrains sablonneux, un seul arbre réussissait à vivre et à prospérer, une espèce de résineux nommé "filao" par les Français. Il fournit un bois de construction passable, mais c'est un très bon bois pour le chauffage. Il croît très vite et a beaucoup de branches feuillues qui conviennent pour la cuisson du riz et des aliments. Et plus on coupe les branches, plus vite jaillissent d'autres branches... Donc, avec la vente de ce bois de chauffage, dans dix ans, normalement la paroisse aurait payé le prêt avec les intérêts.

Remarquez que le prêt n'était pas imposé, le curé restait libre de le demander ou non. Dans ce cas, si un nouveau curé désirait cultiver un terrain négligé par son prédécesseur, il pouvait introduire une requête auprès du Conseil épiscopal pour obtenir un prêt de reboisement. Cependant, pour plus de sécurité, j'ai imposé au doyenné une responsabilité collective pour la plantation, pour la paiement du prêt, pour l'exploitation de la plantation.

Comme il restait un gros reliquat sur le prêt octroyé par l'Etat, avec ce reliquat j'ai acheté un terrain marécageux, donc peu cher, en face de mon évêché et fait construire un grand bâtiment avec chambres à loyer pour les fonctionnaires de l'Etat en service à Hué... et une grande plantation de cocotiers et de filaos à Longcô, pour les besoins de l'évêché.

Grâce à Dieu, ce projet semblait très prometteur. Tout le monde se mit à l'oeuvre et pendant les quelques années passées à Hué, la plupart des paroisses ont réussi à mettre de côté l'argent provenant de la vente des branches de filaos coupées chaque année tandis que le bâtiment édifié sur le marécage, en face de ma maison épiscopale, et louée entièrement, assurait des revenus stables et assez intéressants à l'évêché.

Hélas, le sort de Hué est de rester pauvre, car les vietcongs (communistes) s'infiltraient partout dans mon diocèse distant d'une cinquantaine de kilomètres de la frontière communiste et les guérilleros communistes harcelaient nos deux provinces, interdisant à nos prêtres de rembourser le prêt au gouvernement de Saïgon. Cette situation fit naître une accusation inimaginable de l'Evêque Diên, que le Saint-Siège avait nommé mon remplaçant au siège de Hué quand j'étais confiné en Europe. Il m'a accusé, alors, d'avoir mis dans ma poche les millions prêtés par Saïgon pour le reboisement. La S.C. de la Propagande m'écrivit une lettre relatant cette accusation infâme au moment où je rentrais à Rome après avoir enseveli ma nièce, fille aînée de mon frère Nhu, écrasée près de Paris par deux camions conduits par des chauffeurs américains.

J'ai aussitôt répondu à la S. Congrégation qu'elle fasse savoir à mon accusateur, primo : Que l'évêque Diên, qui habite dans l'évêché construit avec mon argent propre, demande au Père Procureur de la Mission, qui habite l'évêché, de lui remettre les documents concernant les prêts accordés aux paroisses pour le reboisement. Secondo: Que l'évêque Diên aille voir la grande plantation de cocotiers, de filaos du côté de Langeô. Tertio : L'évêque Diên n'a-t-il pas perçu le loyer du bâtiment construit par moi-même, en face de la maison qu'il habite ? Enfin, que je me réservais le droit de le citer devant le Tribunal de la Rote pour calomnie

De plus, comme les communications postales entre l'Europe et le Sud-Vietnam existaient encore, j'ai écrit à mes prêtres de Hué, leur reprochant de n'avoir pas informé mon auxiliaire du projet de reboisement. Or, ces prêtres me répondirent qu'ils avaient, durant le retraite annuelle, dit à Mgr Diên la vérité sur le prêt gouvernemental : que l'archevêque Thuc n'avait jamais vu cet argent gardé à la Procure. Mgr Diên m'avait donc accusé de vol, tout en sachant que c'était une calomnie. Effrayé de ma menace de porter cet affaire devant les Tribunaux romains, Mgr Diên m'a, alors, demandé pardon. Voilà la sincérité de cet excellent ami de Paul VI, le pape qui m'a forcé à démission avant le terme légal pour que Mgr Diên soit nommé archevêque de Hué et puisse mettre en pratique sa politique de la main tendue aux communistes afin de saper le gouvernement de Saïgon. Et Mgr Diên se servit des millions m'appartenant en propre, sans m'en demander la permission...

J'ai modernisé le bâtiment qui servait de procure à la Mission de Hué, en y installant douches et W.C. dans chaque chambre, et construit des chambres pour accueillir les prêtres malades ou rets cités afin qu'ils puissent jouir des visites de leurs confrères se rendant chez le Procureur ou l'Evêque. Et un bâtiment pour servir de bureau à l'Action Catholique, avec une chambre pour le prêtre chargé de cette action.

Je pensais alors à construire une nouvelle cathédrale, car l'ancienne, édifiée plus de 25 ans auparavant par l'ancien curé devenu ensuite vicaire apostolique de Hué, tombait en ruines. Le toit et les charpentes, attaquées par les fourmis blanches (termites) risquaient de s'écrouler au premier typhon.


La nouvelle cathédrale, dont le plan était fait par un Vietnamien non catholique, lauréat de l'Ecole française de Rome, était d'un modernisme mitigé. En béton armé, donc résistant aux typhons et aux termites, elle offrirait un lieu décent pour les cérémonies religieuses et assez amples pour plus de 6000 personnes.