dimanche 29 octobre 2017

Cardinal Pie - Jésus-Christ est roi



Extrait du « Discours pour la solennité de la réception des reliques de saint Émilien, évêque de Nantes, prononcé dans l’église cathédrale de Nantes, le 8 novembre 1859 »

Jésus-Christ est roi, N. T. C. F.; il est roi non seulement du ciel, mais encore de la terre, et il lui appartient d’exercer une véritable et suprême royauté sur les sociétés humaines : c’est un point incontestable de la doctrine chrétienne. Ce point, il est utile et nécessaire de le rappeler en ce siècle. On veut bien de Jésus-Christ rédempteur, de Jésus-Christ sauveur, de Jésus-Christ prêtre, c’est-à-dire sacrificateur et sanctificateur ; mais, de Jésus-Christ roi, on s’en épouvante ; on y soupçonne quelque empiétement, quelque usurpation de puissance, quelque confusion d’attributions et de compétence. Établissons donc rapidement cette doctrine, déterminons-en le sens et la portée, et comprenons quelques-uns des devoirs qu’elle nous impose dans le temps où nous vivons.

Jésus-Christ est roi ; il n’est pas un des prophètes, pas un des évangélistes et des apôtres qui ne lui assure sa qualité et ses attributions de roi. Jésus est encore au berceau, et déjà les Mages cherchent le roi des Juifs : Ubi est qui natus est, rex Judæorum  [i]? Jésus est à la veille de mourir : Pilate lui demande : Vous êtes donc roi : Ergo rex es tu [ii]? Vous l’avez dit, répond Jésus. Et cette réponse est faite avec un tel accent d’autorité, que Pilate, nonobstant toutes les représentations des Juifs, consacre la royauté de Jésus par une écriture publique et une affiche solennelle[iii]. « Écrivez donc, s’écrie Bossuet, écrivez, ô Pilate, les paroles que Dieu vous dicte et dont vous n’entendez pas le mystère. Quoi que l’on puisse alléguer et représenter, gardez-vous de changer ce qui est déjà écrit dans le ciel. Que vos ordres soient irrévocables, parce qu’ils sont en exécution d’un arrêt immuable du Tout Puissant. Que la royauté de Jésus-Christ soit promulguée en la langue hébraïque, qui est la langue du peuple de Dieu, et en la langue grecque, qui est la langue des doctes et des philosophes, et en la langue romaine, qui est la langue de l’empire et du monde, la langue des conquérants et des politiques. Approchez maintenant, ô Juifs, héritiers des promesses ; et vous, ô Grecs, inventeurs des arts ; et vous, Romains, maîtres de la terre ; venez lire cet admirable écriteau : fléchissez le genou devant votre Roi »[iv].

Elle date de loin, mes Frères, et elle remonte haut cette universelle royauté du Sauveur. En tant que Dieu, Jésus-Christ était roi de toute éternité ; par conséquent, en entrant dans ce monde, il apportait avec lui déjà la royauté. Mais ce même Jésus-Christ, en tant qu’homme, a conquis sa royauté à la sueur de son front, au prix de tout son sang. « Le Christ, dit saint Paul, est mort et il est ressuscité à cette fin d’acquérir l’empire sur les morts et sur les vivants : In hoc Christus mortuus est et resurrexit, ut et mortuorum et vivorum dominetur »[v]. Aussi le grand apôtre fonde-t-il sur un même texte le mystère de la résurrection et le titre de l’investiture royale du Christ : « Le Seigneur a ressuscité Jésus, ainsi qu’il est écrit au psaume second : Vous êtes mon Fils ; je vous ai engendré aujourd’hui »[vi]. Ce qui veut dire : De toute éternité, je vous avais engendré de mon propre sein ; dans la plénitude des temps, je vous ai engendré du sein de la Vierge votre mère ; aujourd’hui je vous engendre en vous retirant du sépulcre, et c’est une nouvelle naissance que vous tenez encore de moi. Premier-né d’entre les vivants, j’ai voulu que vous fussiez aussi le premier-né d’entre les morts, afin que vous teniez partout la première place : Primogenitus ex mortuis, ut sit in omnibus ipse primatum tenens[vii]. Vous êtes donc mon Fils ; vous l’êtes à tous les titres puisque je vous ai triplement enfanté, de mon sein, du sein de la Vierge, et du sein de la tombe. Or, à tous ces titres, je veux que vous partagiez ma souveraineté, je veux que vous y participiez désormais comme homme, de même que vous y avez éternellement participé comme Dieu. « Demandez donc, et je vous donnerai les nations pour héritage, et j’étendrai vos possessions jusqu’aux extrémités de la terre »[viii].

Et Jésus-Christ a demandé, et son Père lui a donné, et toutes choses lui ont été livrées[ix]. Dieu l’a fait tête et chef de toutes choses, dit saint Paul[x], et de toutes choses sans exception : In eo enim quod omnia ei subjecit, nihil dimisit non subjectum[xi]. Son royaume assurément n’est pas de ce monde, c’est-à-dire, ne provient pas de ce monde : Regnum meum non est de hoc mundo ; non est ex hoc mundo[xii] ; et c’est parce qu’il vient d’en haut, et non d’en bas : regnum meum non est hinc[xiii], qu’aucune main terrestre ne pourra le lui arracher[xiv]. Entendez les derniers mots qu’il adresse à ses apôtres avant de remonter au ciel : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, et enseignez toutes les nations »[xv]. Remarquez, mes Frères, Jésus-Christ ne dit pas tous les hommes, tous les individus, toutes les familles, mais toutes les nations. Il ne dit pas seulement : Baptisez les enfants, catéchisez les adultes, mariez les époux, administrez les mourants, donnez la sépulture religieuse aux morts. Sans doute, la mission qu’il leur confère comprend tout cela, mais elle comprend plus que cela : elle a un caractère public, un caractère social. Et, comme Dieu envoyait les anciens prophètes vers les nations et vers leurs chefs pour leur reprocher leurs apostasies et leurs crimes, ainsi le Christ envoie ses apôtres et son sacerdoce vers les peuples, vers les empires, vers les souverains et les législateurs, pour enseigner à tous sa doctrine et sa loi. Leur devoir, comme celui de Paul, est de « porter le nom de Jésus-Christ devant les nations, et les rois, et les fils d’Israël : Ut portet nomen meum coram gentibus, et regibus, et fuis Israel »[xvi].

Mais je vois venir l’objection triviale, et j’entends élever contre ma doctrine une accusation aujourd’hui à la mode. La thèse que vous développez, me crie-t-on, c’est celle de la théocratie toute pure. La réponse est facile, et je la formule ainsi : « Non, Jésus-Christ n’est pas venu fonder la théocratie sur la terre, puisqu’au contraire il est venu mettre fin au régime plus ou moins théocratique qui faisait toujours le fond du mosaïsme, encore que ce régime eût été notablement modifié par la substitution des rois aux anciens juges d’Israël ». Mais, pour que cette réponse soit comprise de nos contradicteurs, il faut, avant tout, que le mot même dont il s’agit soit défini : la polémique exploite trop souvent avec succès, auprès des hommes de notre temps, des locutions dont le sens est indéterminé.

Qu’est-ce donc que la théocratie ? La théocratie, c’est le gouvernement temporel d’une société humaine par une loi politique divinement révélée et par une autorité politique surnaturellement constituée.

Or, cela étant, comme Jésus-Christ n’a point imposé de code politique aux nations chrétiennes, et comme il ne s’est pas chargé de désigner lui-même les juges et les rois des peuples de la nouvelle alliance, il en résulte que le christianisme n’offre pas trace de théocratie. L’Église, il est vrai, a des bénédictions puissantes, des consécrations solennelles pour les princes chrétiens, pour les dynasties chrétiennes qui veulent gouverner chrétiennement les peuples. Mais, nonobstant cette consécration des pouvoirs humains par l’Église, je le répète, il n’y a plus, depuis Jésus-Christ, de théocratie légitime sur la terre. Lors même que l’autorité temporelle est exercée par un ministre de la religion, cette autorité n’a rien de théocratique, puisqu’elle ne s’exerce pas en vertu du caractère sacré, ni conformément à un code inspiré. Trêve donc, par égard pour la langue française et pour les notions les plus élémentaires du droit, trêve à cette accusation de théocratie qui se retournerait en accusation d’ignorance contre ceux qui persisteraient à la répéter.

Le contradicteur insiste, et il me dit : Laissons la question de mots. Toujours est-il que, dans votre doctrine, l’autorité temporelle ne peut pas secouer le joug de l’orthodoxie ; elle reste forcément subordonnée aux principes de la religion révélée, ainsi qu’à l’autorité doctrinale et morale de l’Église ; or, c’est là ce que nous appelons le régime théocratique.

Nous appelons, au contraire, régime laïque ou régime sécularisé, celui qui peut s’affranchir à son gré de ces entraves, et qui ne relève que de lui-même.

L’aveu est précieux, M. T. C. F. C’est-à-dire que la société moderne n’entend plus reconnaître pour ses rois et pour ses princes que « ceux qui ont pris les armes et qui se sont ligués contre Dieu et contre son Christ », que ceux qui ont dit hautement : « Brisons leurs liens et jetons leur joug loin de nous »[xvii]. C’est-à-dire qu’il faut supprimer la notion séculaire de l’État chrétien, de la loi chrétienne, du prince chrétien, notion si magnifiquement posée dès les premiers âges du christianisme, et spécialement par saint Augustin[xviii]. C’est-à-dire encore que, sous prétexte d’échapper à la théocratie imaginaire de l’Église, il faut acclamer une autre théocratie aussi absolue qu’elle est illégitime, la théocratie de César chef et arbitre de la religion, oracle suprême de la doctrine et du droit : théocratie renouvelée des païens, et plus ou moins réalisée déjà dans le schisme et dans l’hérésie, en attendant qu’elle ait son plein avènement dans le règne du peuple grand-prêtre et de l’État-Dieu, que rêve la logique implacable du socialisme. C’est-à-dire, enfin, que la philosophie sans foi et sans loi a passé désormais des spéculations dans l’ordre pratique, qu’elle est constituée la reine du monde, et qu’elle a donné le jour à la politique sans Dieu. La politique ainsi sécularisée, elle a un nom dans l’Évangile : on l’y appelle : « le prince de ce monde[xix], le prince de ce siècle »[xx], ou bien encore « la puissance du mal, la puissance de la Bête » [xxi]; et cette puissance a reçu un nom aussi dans les temps modernes, un nom formidable qui depuis soixante-dix ans a retenti d’un pôle à l’autre : elle s’appelle la Révolution.




[i] Matth. II-2
[ii] Joann XVIII-37
[iii] Joann XIX-19/22
[iv] Bossuet, 1er discours pour la Circoncision. Édit. Lebel, T. XI p. 467
[v] Rom. XIV-9
[vi] Act. XIII-33
[vii] Coloss. I-18
[viii] Ps. II-8
[ix] Luc X-22
[x] Ephes. I-22 - Coloss. II-10
[xi] Hebr. II-18
[xii] Joann XVIII-36
[xiii] Ibid.
[xiv] Monuit Pilatum ipse Christus Dominus regnum suum non esse ex hoc mundo, hoc est, minime ex hoc mundo, qui et conditus est et interiturus, ortum habere ; nam eo modo dominantur imperatores, reges, reipublicæ duces, omnesque ii qui, vel expetiti ac delecti ab hominibus, presunt civitatibus atque provinciis, vel per vim et injuriam dominatum occupaverunt. Catech. Concil. Trid., P. IV c. XI n° 15
[xv] Matth. XXVIII-18/19
[xvi] Act. IX-15
[xvii] Ps. II-2/3
[xviii] Aug. De civit. Dei, L. V, c. 21. - Epist. 185 ad Bonif., c. V n. 19. « Quod enim dieunt... non petiisse a regibus terræ apostolos talia, non considerant aliud fuisse tunc tempus, et omnia suis temporibus agi, etc... In hoc ergo serviunt Domino reges, in quantum sunt rege, cum ea faciunt ad serviendum illi, quæ non possunt facere nisi reges ».
[xix] Joann XII-31 – XIV-30
[xx] I Cor. II-6/8
[xxi] Apoc. IX-10 – XIII-4

jeudi 26 octobre 2017

Père Onésime Lacouture - 2-23 - La pauvreté de Jésus


VINGT-DEUXIÈME INSTRUCTION
LA PAUVRETÉ DE JÉSUS.

«Les renards ont leurs tanières et les oiseaux du ciel leurs nids mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête.» Mt.  8-19 «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur.»
Mt.11-29
Plan Remarque (En pratique.  La pauvreté de Jésus: (En doctrine.  (Dans ses disciples.  (Préserve du péché.  Avantage pour nous: (Exerce les vertus.  (Favorise l’amour de Dieu.
REMARQUE  Jésus ne vient pas seulement nous racheter, mais il vient aussi réformer notre vie, guérir nos blessures, enlever les causes du péché et nous indiquer les moyens de pratiquer les vertus surnaturelles.  Pour mieux comprendre l’orientation de sa vie si contraire à la sagesse humaine, il faut vous rappeler que, indépendamment de la chute, nous naissons tous avec deux amours très forts et bien naturels qui sont un obstacle à l’amour de Dieu qu’il exige pour nous donner son ciel.  Le premier est l’amour des créatures et l’autre l’amour de soi-même ou ce qu’on appelle l’amour-propre.  Si nous étions destinés aux limbes nous pourrions garder ces deux amours qui sont bons et naturels.  Mais parce que nous sommes appelés non seulement au ciel, mais à la participation à la vie intime de la Trinité par Jésus-Christ, ces deux amours n’ont plus leur raison d’être dans notre fin dernière.  Au ciel, toute notre capacité d’aimer sera concentrée uniquement sur Dieu: les créatures terrestres auront disparu et notre amour-propre aussi, puisque nous serons complètement transformés en êtres divins.  Dieu sera tout pour nous et ce n’est que lui que nous aimerons dans les élus et en nous-mêmes.
Eh bien!  nous savons que nous devons commencer sur terre la même vie qu’au ciel par la grâce et dans la foi en autant que notre condition terrestre nous le permet.  Donc il nous faut lutter constamment contre ces deux amours naturels pour faire la place à l’amour de Dieu.  La question de péché n’entre pas dans cette lutte.  Nous serions purs comme on peut l’être en ce monde, comme avant le péché originel, que nous devrions nous débarrasser de ces deux amours qui ne sont que naturels pour donner notre amour tout entier à Dieu seul selon le premier commandement.
Jésus en tant qu’homme a pratiqué à la perfection le mépris des choses créées et le mépris de lui-même, par la pauvreté et par l’humilité.  Comme il est Dieu il le fait avec la plus grande perfection possible.  Nous aussi quelque purs que nous soyons de tout péché, nous devons donner à Dieu absolument toute notre capacité d’aimer.  Or, nous naissons avec ces deux amours extrêmement forts et qui nous tiennent dans toutes les fibres de notre être.  Et l’amour de Dieu n’entrera qu’en proportion que l’on rejettera ces deux amours innés, qui ne sont pas du tout péché, mais simplement qui accaparent notre coeur qui doit être tout à Dieu.  On voit tout de suite pourquoi les démons même poussent tant les prêtres à attaquer les péchés: pendant ce temps-là ils ne prêchent pas contre ces deux amours qui empêchent l’amour de Dieu en nous.  Dans cette première partie nous allons voir comment Jésus combat l’amour des choses créées par sa pauvreté qui se trouve à être le mépris concret et pratique des créatures.  la pauvreté de jésus.  Nous ne devons pas nous arrêter simplement à sa pratique de la pauvreté, mais remonter aux motifs qu’il a de la pratiquer.  Notre clergé philosophe et tous ceux qu’il a formé à son école ont du chemin à parcourir pour se faire une idée de cette vertu en Jésus.  Ils sont saturés de ce principe que nous n’avons que le péché à rejeter et que tout le reste est bon «en soi», peut être gardé, y compris évidemment l’amour des créatures et de soi-même.  Comme la lutte à ces deux amours naturels n’est jamais entrée dans leur tête selon leur philosophie, ils ne peuvent pas comprendre la pauvreté de Jésus ni l’estimer.  Aussi ils n’ont l’intention ni de la pratiquer ni de la prêcher.  Ils la regardent comme une sainte exagération en Jésus… comme il y en a bien d’autres!  Pour eux, ils règlent tout avec leur «en soi».  «En soi» il n’y a pas de mal à se procurer un riche fauteuil, une très belle automobile, etc.  et ils se meublent des maisons comme des richards.  Comment ces prêtres saisiraient-ils l’esprit de Jésus dans la pratique de la pauvreté?  Tandis que lorsqu’on prend le point de vue théologique, ou que l’on considère la pauvreté par rapport à Dieu, tout change d’aspect.  Dieu ne met pas son amour dans les échantillons ni son bonheur.  Or nous sommes destinés à participer à l’esprit de Dieu et à son amour.  Au ciel nous jetterons tout notre esprit dans les perfections divines et tout notre coeur pour les aimer.  Donc la pauvreté sur terre est justement la conséquence logique de cet amour de Dieu au ciel.  C’est le ciel commencé sur terre: C’est arracher son esprit aux échantillons pour le jeter dans la source infinie des échantillons; c’est arracher son coeur au catalogue des richesses divines pour le donner tout aux trésors infinis des perfections divines!  Comme elle devient autrement attrayante, autrement facile avec ces motifs surnaturels dans la volonté!  Voilà donc ce que Jésus va pratiquer avec la dernière perfection.  Il veut nous donner l’exemple d’une vie céleste sur terre et de l’amour de Dieu pratique par un mépris souverain de ses rivales à notre affection, les créatures.  Surtout quand on songe que nous n’avons que quelques années sur terre pour souffrir la pauvreté; car notre païen regimbe toujours plus ou moins dans ces privations que nous nous imposons pour l’amour de Dieu.  Plus nous fixons les yeux sur les richesses célestes que nous nous achetons par la pauvreté, plus elle devient facile et aimable.  Moins nous sommes contaminés par les philosophes et plus nous comprenons l’esprit de Jésus dans la pratique de la pauvreté.
Il aurait bien pu avoir un beau palais pour vivre et des serviteurs sans pécher!  Il aurait pu jouir d’une foule de plaisirs sans aucun péché.  Voilà ce que nos philosophes donnent au monde.  Ce n’est pas du tout ce que Jésus a prêché ou pratiqué.  Ils sont donc de travers avec Jésus.  Mais avec leur esprit païen ils sont incapables de voir même leur erreur.  Que Dieu les éclaire et qu’il nous préserve de tomber dans un pareil aveuglement.
Pendant cette méditation prions le St-Esprit qui est l’amour divin de nous éclairer par ses dons afin que nous le suivions parfaitement dans l’imitation de la pauvreté de Jésus.  C’est en vue de la pratiquer que nous la méditons.  Car l’amour de Dieu ne se donne pas à la tête, mais au coeur de chair et vivant de l’homme.
Sa pratique.  Jésus n’est pas du tout philosophe comme la plupart des prêtres le sont.  Il ne se contente pas de mots ni des vertus abstraites «in se».  Il vit dans le concret sa sainteté.  Ce n’est pas lui qui donnerait une conférence sur la pauvreté «en soi»!  Il vit sa conférence dans la pratique réelle de la pauvreté.  Si elle est une bonne chose elle vaut la peine d’être vécue et il la vit… et non pas à certaines occasions ou époques de sa vie, mais dès son arrivée en ce monde jusqu’à sa mort; personne ne sera plus pauvre que lui.  Les hommes naissent dans des maisons, mais Jésus naît dans une étable et on le couche dans une mangeoire sur de la paille.  Comme il vient pour sauver les hommes qui sont descendus au rang des bêtes, il s’abaisse jusqu’à eux pour les élever jusqu’à lui.  Le Ps.  48, 21, dit: «L’homme même dans sa splendeur ne comprend pas; il est semblable aux bêtes qui périssent.» Et St-Paul dit que l’homme animal ne comprend pas les choses de Dieu.  Aussi on parquait souvent les esclaves dans les granges et dans les étables avec les animaux; or Jésus s’est fait esclave pour nous racheter et il est traité comme tel.  Il est bien certain que ce n’est pas par nécessité qu’il naît ainsi, mais par choix.  Il aurait pu avoir une maison et le plus beau palais du monde s’il avait voulu.  Il choisit cette pauvreté librement et par amour de Dieu et de nous.  Il va montrer dès son apparition en ce monde qu’il méprise souverainement tous ces échantillons par rapport aux perfections divines.
Pour le premier homme Dieu créa un beau paradis terrestre avec tout le confort possible, comment se fait-il que pour son Fils unique il ne lui prépare rien du tout et l’abandonne comme un exilé?  C’est ce qu’est l’homme de fait; à cause de son péché il est chassé de sa belle demeure que Dieu lui avait préparée.  Il faut que Jésus vive ce châtiment puisqu’il est venu satisfaire son Père en expiant le péché de l’homme.  Adam a péché pour l’amour d’une créature qu’il a préféré à Dieu, Jésus va préférer Dieu à toutes les créatures sans exception.  Il va montrer aux hommes ce qu’ils doivent aimer; Dieu, et ce qu’ils doivent mépriser: les créatures rivales de Dieu à l’affection de l’homme.  A peine né, il est exilé en Egypte où il vit dans la plus grande pauvreté.  J’ai vu à Matarich où la tradition place son séjour; peu importe que ce soit exactement l’endroit, il représente bien la pauvreté du pays.  Quelques petites maisons faites de terre cuite au soleil, sans plancher, sans meubles, ni tables, ni chaises, où l’on couche sur des nattes à terre, où l’on mange à terre.  Les gens sont pauvrement habillés et gagnent juste assez pour ne pas mourir de faim.  Qu’est-ce que cela devait être il y a 19 siècles?  A Nazareth, pendant une trentaine d’années, Jésus aide St-Joseph à gagner la vie de la sainte Famille par le métier de charpentier.  Or il n’y a presque rien en bois dans ce pays.  Des manches de hache, de marteaux, des jougs et des charrettes, et tout cela à des prix ridicules.  Il devait travailler longtemps pour gagner sa vie.  Il exécutait la sentence de Dieu: «Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front.» Il est certain qu’il le fit parfaitement et à la lettre.  Pendant sa vie publique, il n’a rien à lui, comme il le dit au scribe qui veut le suivre: «Les renards ont leurs tanières et les oiseaux leurs nids, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête.» Ses disciples quêtent leur nourriture et celle de Jésus; parfois ils glanent les épis de blé laissés sur le champ et même se passent de repas.  Ils vivent comme les oiseaux du ciel aux dépens de la Providence.  Il insinue clairement à ceux qui le suivent qu’ils doivent suivre la pauvreté.  A tous il dit: Si quelqu’un ne renonce pas à tout ce qu’il possède, il ne peut être mon disciple.  C’est donc que lui-même a renoncé à tout au monde; il veut que ses amis soient comme lui.  Dans sa passion il perd même le peu qu’il avait; ses amis, sa réputation, son honneur, son oeuvre et jusqu’à ses vêtements et il meurt nu comme il était né.  On ne peut pas pousser la pauvreté plus loin.  Voilà donc comment Jésus a pratiqué la pauvreté réelle dans toute la force du mot.  Il ne l’a pas simplement admirée de loin ou ne l’a pas simplement prêchée, mais il l’a vécue dans toute sa dure réalité.  Comme il a cassé l’amour naturel pour les créatures dans son humanité, n’oublions pas qu’il nous faut jeter dehors l’amour pour les échantillons si nous voulons avoir l’amour de Dieu; les deux ne vont pas du tout ensemble.  On ne peut pas aimer Dieu et le monde, nous dit Jésus.  Il a aimé Dieu, donc il a méprisé le monde avec tout ce qu’il renferme.
Pour nous, la pauvreté de Jésus comme pour lui doit être une vie, pas une simple admiration.  Il faut être une seule chose avec Jésus, pas seulement dire qu’on l’est.  Le signe qu’on vit le plan divin sera quand on manque d’une chose utile et même nécessaire et que l’on trouve cela normal, qu’on ne se plaint pas et même que l’on remercie Dieu de cette faveur divine d’avoir une occasion de devenir riche pour le ciel.  C’est le propre de la pauvreté de manquer de l’utile et même du nécessaire.  C’est pour nous la faire pratiquer que Dieu permet que même chez les gens à l’aise, par oubli de quelqu’un, il manque des choses dans la maison, eh bien, comme chrétiens, sachons les accepter en esprit de foi et en union avec la pauvreté de Jésus.  Pour être pratique n’attendons pas que le bon Dieu nous dépouille, mais allons de l’avant; dépouillonsnous; le mieux est de commencer doucement; on donne un objet de trop, par exemple, on a plusieurs plumes à écrire, donnons-en une, puis goûtons un peu ce sacrifice.  Puis quand on a digéré celui-là, qu’on en fasse un autre, et ainsi de suite.  La grâce du premier sacrifice nous aidera à faire le deuxième et celle du deuxième à faire le troisième et ainsi de suite pour les autres.  Défions-nous de la tentation ordinaire du démon; il va dire: tu vas donner absolument tout ce que tu as?  Il nous montre le dénuement extrême pour nous faire peur.  On n’a qu’à lui répondre que ce n’est pas de ses affaires!  que vous donnerez ce que vous voudrez au jour le jour.  Si on est troublé en donnant, eh bien, on arrête et l’on attend la grâce pour le faire avec calme et contentement.  Qu’on ne se laisse pas prendre par ce trouble.  Un cultivateur ne sème pas la première année pour toute sa vie!  Il sème une année et il s’arrête!  Puis il sème une autre fois et il s’arrête!  Eh bien, faisons de même pour nous dépouiller; faisons ce que nous pouvons avec joie pour l’amour de Dieu, puis plus tard, pas à la fin de la vie, mais quand on sera calme et qu’on aura la force de faire d’autres sacrifices, faisons-les alors!  C’est un art comme un autre, on apprend par l’exercice.  Ce qui paraît une montagne au début devient facile avec l’exercice.  Surtout avec les grâces que Dieu donne, on vient à aimer à faire l’aumône, à savoir comment la faire avec le plus grand avantage pour les pauvres et pour la gloire de Dieu.  Que de choses dont on pourrait se passer si on aimait Dieu et les pauvres!  Combien ont des gardes-robes remplies de linge que les mites mangent et qui feraient tant de bien aux membres souffrants de Jésus!  Que de nourriture parfois jetée dont les pauvres se rassasieraient avec plaisir!  Que d’argent gaspillé au jeu qui ferait vivre bien des pauvres!  Que chacun y voit!
Sa doctrine évidemment est l’écho de sa vie; il prêche ce qu’il a pratiqué d’abord.  Sa prédication est pénétrée de l’idée de la pauvreté, il enseigne de toutes les façons possibles le détachement des biens de la terre.  Autant il veut nous donner l’amour de Dieu, autant il faut qu’il nous enlève l’amour des créatures.  Or on sait combien il tient à ce que nous aimions Dieu de tout notre coeur comme le demande le premier commandement.  La contre-partie est le détachement des biens de ce monde; voilà pourquoi il insiste tant sur le mépris réel des choses de la terre.
Les Pères disent que le sermon sur la montagne contient la charte du christianisme.  Eh bien, Jésus commence par la pauvreté: «Bienheureux les pauvres d’esprit, car le royaume des cieux est à eux»; s’ils rejettent l’amour des choses créées, ils auront l’amour de Dieu et c’est là le royaume de Dieu.  Là aussi il veut que nous n’ayons aucun souci pour les besoins futurs ou même du lendemain, nous abandonner entièrement à Dieu.  Pour pratiquer esprit d’abandon, il faut être complètement détaché des biens de ce monde.  La parabole de la perle précieuse et celle du trésor caché enseignent à donner tous ses biens pour se procurer le ciel et donc elles veulent que nous pratiquions la pauvreté autant que possible.  Une foule nombreuse marchait avec Jésus; il se retourne et leur dit: «Si quelqu’un vient après moi et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple.  Il veut dire ceci: Comme tout notre amour de volonté doit aller à Dieu, il n’en reste plus pour ses parents.  Si on les aime il faut que ce soit en Dieu et pour Dieu et dans ce cas c’est Dieu qu’on aime en eux et alors cet amour n’est pas rival de notre amour pour Dieu.
Cet amour pour les parents est physique, dans le sang et dans la nature; nous ne pouvons pas nous en défaire; il ne vaut rien, ni pour, ni contre Dieu.  Mais ce qu’il ne veut plus c’est que nous agissions selon cet amour.  Un chrétien doit tout faire pour Dieu seul dans l’ordre de sa volonté libre.  Alors s’il ne suit pas les tendances naturelles vers ses parents, c’est comme s’il les haïssait de fait.  Car en amour faire quelque chose pour plaire à un autre insulte, même quand cette chose est bonne de sa nature.  C’est pour cela que Dieu ne veut pas du tout que nous fassions une seule chose pour l’amour d’un autre.  Jésus ajoute: «Car qui d’entre vous, voulant bâtir une tour, ne suppute auparavant à loisir la dépense nécessaire pour savoir s’il aura de quoi l’achever, de peur que lorsqu’il aura jeté les fondements et qu’il ne pourra l’achever, tous ceux qui le voient ne commencent à se moquer de lui en disant: cet homme a commencé à bâtir mais il n’a pas achevé.» Ainsi ce qu’est l’argent pour construire, la pauvreté l’est pour construire sa tour spirituelle ou sa sainteté.  C’est comme Jésus le dit souvent: on achète le divin avec de l’humain, du céleste avec du terrestre.  Donc à mesure que la sainteté augmente, la pauvreté doit aussi augmenter.  En d’autres termes, on augmente en amour de Dieu en proportion qu’on se détache des créatures ou qu’on se dépouille d’elles.  St-Paul dit que Jésus s’est fait pauvre, de riche qu’il était afin de nous enrichir par sa pauvreté.  C’est dire que Jésus s’est dépouillé de tout ce qu’il avait ou pouvait avoir afin de nous mériter le ciel.  C’est aussi ce qu’il veut de nous tous.  Son plan est le même pour tous sans exception; on aura au ciel ce qu’on a semé en ce monde et l’on possédera Dieu en proportion qu’on l’a payé avec les choses de ce monde.
Au jeune homme riche Jésus dit qu’il lui manque encore une chose pour arriver au ciel: se détacher de ses biens.  Il avait encore cet amour naturel que tout homme a pour les choses créées en venant en ce monde.  Il ne pouvait pas avoir l’amour de Dieu tant qu’il gardait l’amour de ses biens.  Or ordinairement pour se débarrasser de cet amour le seul moyen pratique est de se défaire de ses biens.  C’est ce que Jésus dit au jeune homme, mais il s’en alla triste parce qu’il avait beaucoup de ces biens qu’il aimait.
Défions-nous de ce détachement de volonté tout en
gardant ses biens; que d’illusions là!  Devant la foi ce n’est pas facile de trouver des motifs pour garder ses biens superflus selon la foi.  Car il est facile à l’amour naturel des créatures de se trouver des excuses pour ne pas avoir de superflu.  On n’a qu’à acheter de plus beaux habits, plus d’ameublements, des maisons de campagne plus riches, changer d’auto plus souvent, faire des voyages dispendieux, etc.  et on n’a jamais de superflu avec ce régime de païen.  Alors pour la mentalité païenne de la plupart des chrétiens cette question de superflu ne se pose pas.  Il faut prendre une autre règle de conduite pour ces gens.  Le mieux est de les instruire sur le plan divin pour gagner le ciel qui consiste à l’acheter aux dépens des échantillons ou le récolter en semant des créatures par le sacrifice.  Qu’on demande à ces gens ce qu’ils ont donné pour acheter le ciel ou pour le récolter.  Qu’ils le marquent en blanc et en noir sur le papier.  Ils montrent où est leur coeur par la sorte de biens qu’ils tiennent à avoir… et cela se montre par ce qu’ils sacrifient pour l’amour de Dieu.  Que les riches comme en Amérique où l’on défend aux pauvres de quêter ne se fassent pas prendre par cette excuse que personne ne leur demande l’aumône; c’est à eux à aller à la recherche des pauvres, créés par Dieu pour donner le ciel aux riches.  Les pauvres sont les porteurs des biens des riches pour le ciel.  Comme dit St.  J.  Chrysostome, le rôle des pauvres est incomparablement supérieur à celui des riches.  Ceux-ci ont été établis par Dieu pour donner la vie temporelle aux pauvres, mais les pauvres sont établis pour donner la vie éternelle aux riches.  Voilà pourquoi c’est aux riches à aller supplier les pauvres de vouloir bien accepter leur aumône afin d’avoir une place au ciel avec eux.  C’est le désordre que les pauvres aillent quêter, c’est aux riches à aller les découvrir avec les moyens faciles qu’ils ont de se déplacer, de beaux équipages ou de nos jours de belles machines.  Qu’ils les chargent de provisions et qu’ils aillent les distribuer aux pauvres chaque semaine, par exemple.  Quand les riches veulent voyager il faut qu’ils aillent à un agent établi pour vendre des billets; eh bien, qu’ils aillent chez les pauvres acheter leur billet pour le ciel!  en le payant avec des provisions et des habits.  Commençons vite.  Dieu ne nous a pas promis encore bien des années pour avoir notre billet pour le ciel.
Jésus a fait pratiquer sa pauvreté par les deux plus saints personnages au monde après lui: Marie et Joseph.  Il les voulait tout près de lui au ciel; alors il les a tenus dans la plus grande pauvreté au monde comme lui.  Eh bien, en proportion que nous voulons être près de Jésus au ciel, aimons et pratiquons la pauvreté.  On comprend que St.  Ignace nous recommande d’aimer la pauvreté comme une mère.  Sont-ils nombreux ceux qui ont de l’affection pour elle?  qui lui font des caresses fréquentes en se dépouillant de quelque chose aussi souvent que possible avec la grâce de Dieu?  Ceux qui prétendent aimer Jésus et qui n’aiment pas la pauvreté sont dans l’illusion, car Jésus et la pauvreté c’est la même chose au point de vue de l’amour de Dieu et donc du mépris du créé.  Quand on veut progresser en amour de Jésus qu’on se rappelle ce qu’on demande à Dieu!  C’est aller du côté de la pauvreté du coeur au moins et le plus possible à la pauvreté effective ou de fait.
En ses disciples.  Il est bon de voir comment ils ont compris la pratique et la doctrine de Jésus au sujet de la pauvreté.  Est-ce qu’ils ont pratiqué seulement la pauvreté de détachement et qu’ils ont prêché seulement la pauvreté du coeur?  Quoique nos philosophes diraient «strictement parlant» elle suffit pour être sauvé, les Apôtres comme Jésus étaient plus pratiques; ils connaissaient le coeur humain qui s’attache à tout ce qui peut flatter la nature, et ils ont prêché de fait la pauvreté réelle et effective.  C’est aussi la pratique des Saints.  Act.  244: «Ceux qui croyaient étaient ensemble et possédaient tout en commun; ils vendaient leurs terres et leurs biens et ils les distribuaient à tous selon le besoin de chacun.» Ces distributions réelles augmentèrent tellement que les Apôtres ont dû établir des diacres pour faire ces distributions.  I Cor.  9-25: «Tous ceux qui combattent dans l’arène, s’abstiennent de toutes choses, eux pour gagner une couronne corruptible, mais nous une couronne incorruptible.» Phil.  3-8: «Tout me semble perte au prix de l’éminente science de Jésus-Christ, mon Seigneur, pour l’amour duquel je me suis privé de toutes choses, les regardant comme du fumier afin de gagner Jésus-Christ.» Il s’est donc privé effectivement de toutes choses et donc a pratiqué la pauvreté réelle dans le concret.  Tous ces textes et bien d’autres qu’on pourrait citer montrent que les disciples de Jésus ont compris dans tous ces textes sur la pauvreté, la pauvreté réelle, effective.  Quand on méprise une chose réellement, on la rejette au loin.  Eh bien; les disciples ont appris qu’il faut mépriser réellement les échantillons et ils les ont rejetés loin d’eux.  Leur amour pour Dieu était bien réel; il fallait que le mépris de ses rivales à notre affection fût aussi réel.  A mesure qu’une âme monte vers Dieu, elle se détourne de l’affection des choses créées.  L’amour de Dieu réel est en raison inverse de l’amour des créatures.  Si donc nous voulons être avec Jésus, les Apôtres et les Saints, nous devons rejeter le plus possible les choses créées et dans le concret autant que possible, pas seulement par le détachement du coeur, qui n’est pas facile à mesurer et à peser.  On peut se faire grandement illusion sur ce détachement intérieur.  On s’en aperçoit quand de fait on commence à se dépouiller de fait.  Comme il en coûte: c’est donc qu’on n’était pas aussi détaché qu’on le pensait.  Toute cette doctrine est en parfaite harmonie avec nos dispositions dans le ciel.  Là il est certain que nous ne voudrons pas autour de nous des échantillons de la terre, mais uniquement les perfections divines.  Eh bien!  on dit souvent que la mort ne fait qu’immortaliser ce qu’elle trouve dans le coeur; si nous voulons les dispositions du ciel, il faut donc les cultiver tout de suite sur terre.  Eh bien!  Jésus, les Apôtres et les Saints nous l’indiquent clairement au sujet de la pauvreté; c’est de la pratiquer dans le concret et pas seulement l’admettre et l’admirer de loin.
Est-ce que tout confesseur intelligent n’exigerait pas le renvoi effectif d’une maîtresse qu’un pénitent aurait?  Est-ce qu’il devrait le laisser la fréquenter s’il promettait de s’en détacher de coeur?  Cela n’aurait aucun bon sens.  S’il n’a pas le droit de l’aimer, eh bien, qu’il l’éloigne de lui absolument.  Or, il est certain que le coeur de l’homme est aussi sensible aux plaisirs créés que l’homme l’est pour une femme qu’il aime. 
Voilà pourquoi Dieu exige le renvoi effectif et réel pour ses meilleurs amis.  «Strictement parlant» un docteur dirait qu’on peut aimer Dieu en étant riche.  C’est vrai.  Mais moralement parlant ces phénomènes sont assez rares dans l’Eglise.  Comme un mari fait un acte d’amour envers sa femme en rejetant les avances d’une autre femme, ainsi le chrétien fait un acte d’amour de Dieu quand il rejette loin de lui les avances des créatures qui pourraient le captiver ou qui le captivent.  avantages pour nous.  Préserve du péché.
La pauvreté, acceptée pour l’amour de Dieu, préserve du péché.  Ce sont les créatures qui alimentent la concupiscence et les passions.  Moins on en a et moins on est exposé au péché.  On voit que lorsque Dieu veut convertir des pécheurs riches, il commence par leur envoyer la perte de leur position ou de leurs biens, afin de leur enlever les moyens de se satisfaire, ou encore la maladie.  On voit aussi qu’une foule de Saints ont été élevés très pauvrement; c’est donc un milieu plus favorable pour la sainteté.  La pauvreté favorise aussi l’humilité qui préserve d’une foule de péchés en attirant les grâces de Dieu, comme la richesse favorise l’orgueil qui éloigne de Dieu et conduit ainsi au péché.  Elle exerce les vertus, au moins elle est de nature à leur fournir un aliment a leur exercice.  Elle fait réfléchir sur le plan de Dieu.  Les pauvres se demandent pourquoi Dieu en a fait de si riches et d’aussi pauvres et s’ils ont un peu de foi ils essaient de justifier la Providence divine infinie et sage et qui veut le bien de l’homme.  Cette méditation les jette dans l’autre monde où on peut seul justifier Dieu de l’inégalité sur terre.  Elle favorise l’amour de Dieu.  Comme les pauvres n’ont rien sur terre, ils devraient se jeter dans le monde de la foi qui leur parle d’une autre vie autrement belle que celle-ci où Dieu se donne d’autant plus qu’il a donné peu en ce monde.  Quel changement dans leur mentalité s’ils avaient la chance de lire tout ce que Jésus et les Apôtres ont dit en faveur de la pauvreté!  Ils remercieraient Dieu de la grande faveur qu’il leur a faite par la pauvreté.
Elle exerce aussi à l’espérance dans les biens célestes que Dieu promet aux pauvres s’ils veulent bien le servir.  Comme les affamés pensent souvent à des banquets, ainsi les pauvres devraient souvent penser au banquet éternel où Dieu les inondera de ses délices.  Elle les exerce à l’amour de Dieu en leur enlevant les rivales de Dieu à notre affection, les créatures.  Evidemment il faut que ces pauvres aient un commencement de foi pour croire tout ce que le bon Dieu dit de l’autre monde.
Même pour ce monde Jésus promet le centuple de mérite et de bonheur à ceux qui abandonnent leurs biens pour l’amour de Dieu.  Cela veut dire que pour le plaisir qu’on aurait trouvé dans un échantillon Dieu nous donnera des consolations spirituelles qui dépassent cent fois les plaisirs de la terre.  Car on doit savoir que les plaisirs des sens ne sont que des échantillons des plaisirs de l’âme dans le monde surnaturel.  Donc plus nous aimons à jouir et plus nous devrions rejeter les plaisirs des sens si éphémères, tandis que lorsque nous les semons en pratiquant la pauvreté et la mortification, on les récolte éternellement dans le ciel.  Ce devrait être un bon motif pour nous en priver un peu de temps en ce monde.  Tout chrétien devrait tenir les yeux sur la pauvreté de Jésus; il est Dieu et infiniment sage; puisqu’il a tant aimé et si bien pratiqué la pauvreté, c’est donc qu’elle est une source extraordinaire de bénédictions pour l’homme.  Cela devrait être assez pour nous la faire pratiquer le plus possible avec la grâce de Dieu et la prêcher autour de nous par le contentement dans la pauvreté et par de bonnes paroles en sa faveur.  elle est la mort du premier amour naturel en nous, qui empêche l’amour de Dieu d’entrer en nous!…


vendredi 13 octobre 2017

Père Onésime Lacouture - 2-22 - Les paraboles de la justice divine


VINGT ET UNIÈME INSTRUCTION
LES PARABOLES DE LA JUSTICE.

«Alors le roi dit à ses serviteurs: Liez-lui les mains et les pieds et jetez-le dans les ténèbres extérieures; c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents.» Mt.  22-13

Plan Remarque.  1e parabole: Les invités au festin: Mt.  22 L.  24 - Attaches aux créatures.  2e parabole: Les dix vierges:

Mt.  25, 1-13 - Insouciance.  3e parabole: Les talents: Mt.  25, 14-30 - Paresse.  4e parabole: Le mauvais riche: L.  16, 19-31 - Egoïsme.

REMARQUE  Plus on s’éloigne de Dieu et moins on aime à penser à sa justice.  Elle fait frémir la nature coupable et consciente de la mériter en partie.  Aussi les gens à mentalité plus ou moins païenne aiment à trouver des raisons pour éliminer l’idée de la justice divine.  On compare Dieu aux hommes: est-ce qu’un père jetterait son fils dans le feu pour le punir?  Jamais de la vie: Alors le bon Dieu est trop bon pour faire cela avec nous.  On oublie ce que Jésus a fait pour nous avoir dans son ciel et ce que ce bonheur divin signifie pour nous.  En tout cas, ce n’est pas une question de bon sens humain, c’est un dogme clairement enseigné par Jésus: que Dieu peut punir éternellement en enfer.  Le bonheur céleste dans la participation à la vie intime de la Trinité est aussi incompréhensible que le châtiment de l’enfer éternel.  Si on accepte l’un il faut accepter l’autre.  D’ailleurs est-ce que Dieu ne nous donne pas autant d’exemples de sa justice dans la Bible que de sa bonté?  N’a-t-il pas mis sur la terre autant d’échantillons de sa justice que de sa bonté?  N’y a-t-il pas plus de misères dans la vie de l’homme que de jours?  plus d’épines que de roses?  Plus de misères dans le monde que de bien-être?  Eh bien, est-ce que cela ne suffit pas pour nous convaincre que si Dieu est infiniment bon, il est aussi infiniment juste, que s’il récompense les bons, il doit punir les méchants, si le bonheur des bons nous dépasse, pourquoi le châtiment des méchants ne nous dépasserait pas aussi?  Jésus n’a-t-il pas donné autant de paraboles de sa justice que de sa miséricorde?

Je répète que séparer la miséricorde de la justice est aussi hérétique que de séparer la justice de la miséricorde comme les jansénistes ont fait.  De nos jours une foule de prêtres dans tous les pays sont tombés dans l’excès opposé au jansénisme et avec autant de mal pour les fidèles du monde entier.  Il faut ramener le clergé à ces deux perfections divines, sans en exagérer une au dépens de l’autre.  Voici une parole d’or de St. Fr. Xavier, écrivant au P. Barzé aux Indes: Il lui dit: Prêchez la justice divine à ceux qui pèchent encore et la miséricorde à ceux qui ont fini de pécher.  Voilà la vraie sagesse au sujet de ces deux attributs de Dieu, dont il se sert constamment selon le cas.  Les prêtres devraient menacer les pécheurs des châtiments de Dieu comme de l’enfer et de la possibilité que Dieu laisse sa justice agir selon ses droits et que des pécheurs soient damnés.  Que les fidèles comme les prêtres méditent sur ces quelques paraboles de la justice divine afin de prendre ce que la foi nous enseigne et non pas ce que la raison humaine aimerait!  Quelle folie que de vouloir rabaisser Dieu au niveau de la raison humaine!  Ces prêtres qui rejettent la justice, non pas en théorie, mais de fait, dans le concret en ne voulant jamais en parler, sont responsables en partie de la dépravation des moeurs, ils parlent tellement de la seule bonté de Dieu que les pécheurs ne craignent plus Dieu.  Les pénitences insignifiantes qu’on donne de nos jours confirment les gens dans l’idée que c’est une affaire de rien que de se faire pardonner ses péchés.  C’est rien pour le bon Dieu mais c’est extrêmement difficile pour l’homme de changer son coeur pour être pardonné.  C’est cette partie que les missionnaires ne font pas assez ressortir.  Ils parlent toujours de ce que Dieu peut faire, pas assez de ce que l’homme doit faire pour que Dieu lui pardonne ses péchés.  Eh bien, dans ces paraboles de la justice nous allons voir ce qui manque aux pécheurs pour être pardonnés et donc ce qu’ils doivent faire pour être sauvés.  les invités au festin.  «Le royaume des cieux est semblable à un roi qui célébrait les noces de son fils.  Il envoya ses serviteurs convier aux noces les invités, mais ils ne voulurent pas venir!» L’explication est claire: le roi, c’est Dieu, le Fils, c’est Jésus, les noces, c’est l’union de Jésus avec les hommes par la grâce.  La ville détruite est Jérusalem parce que les Juifs, les premiers invités, ont refusé l’invitation de Dieu, puis les autres sont les païens tous appelés au Royaume de Dieu.  Tous ceux qui refusèrent sont punis, c’est là que s’exerce la justice divine.  Ceux qui refusent l’invitation de Dieu à la sainteté seront punis sûrement.  Les principales raisons que les hommes ont de décliner l’offre de Dieu sont ou se résument aux suivantes:

Excuses des invités.  St Luc les détaille plus que StMathieu.  1 – «J’ai acheté une maison de campagne et il faut que j’aille la voir, je vous prie de m’excuser!» Ce groupe représente des «sports» de toutes sortes.  Ces gens ne sont pas capables d’être tout aux choses de Dieu parce que leur coeur est déjà pris par les créatures.  Les bons auteurs spirituels disent qu’on ne peut pas avoir l’intelligence des choses de Dieu quand on cultive une attache quelconque.  C’est ce que St-Paul enseigne quand il dit que l’homme animal ne perçoit pas les choses de Dieu.  D’après St-Jean de la Croix et d’autres, l’homme animal est celui dont les sens sont remplis de satisfactions sensibles, qui met son bonheur dans les plaisirs de la chair ou des choses même permises.  Comme la passion du jeu est rendue loin chez nos chrétiens et chez les prêtres et les religieux!  Comme ils aiment à assister aux parties!  Comme ils en parlent avec intérêt!  Comme ils lisent les journaux pour suivre toutes les parties du pays, connaître tous les joueurs, les bons et les mauvais points qu’ils font!  Quelle honte que des chrétiens faits pour les choses du ciel mettent tout leur coeur dans ces folies!  Mais quelle abomination que des prêtres et des religieux soient passionnés pour le sport!  Les journaux sont pleins de ce paganisme et des chrétiens consacrés à Dieu se font prendre par cet appât du diable!  Mais le comble de la passion du sport est d’être assez bête pour suivre ces parties à la radio!  Comment un animal pareil peut-il s’intéresser aux choses de Dieu?  Jamais de la vie: Ces religieux et ces prêtres accomplissent juste le strictement nécessaire sons peine de péché mortel ou de perdre un honoraire; le reste est négligé…!  Comment avec l’esprit et le coeur pleins de leurs parties peuvent-ils avoir du goût pour les choses spirituelles?  C’est impossible!  Qu’on trouve un de ces prêtres ou de ces religieux qui reviennent d’une partie et qui s’en vont faire une longue visite à Jésus dans le Tabernacle?  Est-ce qu’un fidèle peut le faire?  Comment peuvent-ils aller voir des malades pour les consoler, ou des pauvres?  ou étudier un auteur spirituel?  ou préparer un sermon?  On voit tous ces amateurs de sport faire à la diable leurs exercices spirituels et leurs fonctions de prêtres ou de religieux.  Pas de préparation à la messe, pas de méditation et pas d’action de grâces après la messe: du lit à l’autel et de l’autel à la table… pour retourner au lit quand c’est possible!  Quelle pitié que ces excès n’ouvrent pas les yeux de ces chrétiens!  C’est la conséquence logique de leur philosophie de la religion.  Elle permet tout cela sans aucun scrupule, puisqu’il n’y a pas de mal «en soi» en aucune de ces choses ou actions.  On voit bien que ces religieux, ces prêtres et ces laïques qui les suivent, n’ont aucune idée du point de vue théologique ou de l’amour de Dieu où l’on voit qu’il faut gagner le ciel par le sacrifice des choses permises comme des autres qui sont défendues.  Ils ne connaissent que les créaturesdessert et pas du tout les créatures-fumier de St-Paul et des saints.  Celui qui va voir sa maison de campagne ne pèche pas, ce n’est pas défendu d’aller visiter cette maison, mais il manque les noces!  Il agit exactement comme une foule de prêtres et de religieux qui s’absorbent dans des choses permises au point de n’avoir plus de temps de s’occuper des choses de Dieu convenablement.  Manquer des séries de grâces par son affection aux choses créées c’est finalement le royaume de Dieu, dans la même proportion que l’on perd ces grâces offertes par Dieu dans toutes sortes d’actions de religion.  2 – «J’ai acheté cinq paires de boeufs et je vais les essaye, je vous prie de m’excuser.»

C’est un commerçant en gros!  C’est un homme lancé dans les affaires.  Ce sont des hommes de professions absorbés par leurs intérêts temporels: l’industrie, la bourse, les procès, les malades, etc.  Rien de cela n’est défendu!  Ces actes individuels sont permis.  Pourtant Jésus dit que ces hommes peuvent manquer les noces éternelles en refusant le royaume de Dieu ou les noces divines!  On devrait réfléchir sur ce fait que ce n’est pas par un seul acte isolé qu’on mérite le ciel, mais par des séries d’actions et par toute une vie d’activité.  C’est ainsi que Dieu présente sa grâce dans toutes les actions individuelles de notre vie.  Ce n’est pas péché toujours de refuser une grâce dans tel acte, mais si à force de refuser ces grâces individuelles on montre son indifférence pour elles et son amour pour les choses du monde, on finit par perdre son âme.  C’est ce que Jésus veut dire.  Quand on perd une grâce pour une chose humaine, on montre son peu d’amour pour Dieu et l’on répétera bien cette préférence pour l’humain des milliers de fois… et l’on meurt comme on a vécu!… Les hommes d’affaires devraient se surveiller pour ne pas trop entreprendre et se donner tout entiers aux choses du monde.  Alors ils négligent leurs prières, leurs visites au S.S., leurs communions, la lecture spirituelle pour s’instruire dans les choses de Dieu, et même la messe peut-être, les retraites, etc.  Ces hommes peuvent bien ne pas commettre de péché dans des actes isolés et cependant perdre leur âme en oubliant leurs intérêts spirituels.  C’est la doctrine des deux Etendards de St-Ignace et des saints qui ont écrit sur ce sujet.  L’homme est limité; s’il se donne tout aux choses du monde même permises, il n’a plus le temps de s’occuper de son âme ni le goût pour le faire.  3 – «J’ai épousé une femme et ainsi je ne puis y aller, je vous prie de m’excuser.»

Ce groupe représente ceux qui cherchent leur bonheur dans les plaisirs de la chair même permis, comme chez les mariés.  Cela comprend les soucis qui découlent de la vie de famille.  Il n’y a pas de péché là, mais on peut s’y donner tellement qu’on oublie ses devoirs essentiels envers Dieu.

Voilà donc trois groupes de gens qui refusent le royaume de Dieu et donc le salut de leur âme pour des joies honnêtes et permises.  On ne peut pas mettre le doigt sur une seule action isolée qui soit défendue… et cependant, d’après Jésus, ils représentent toute une foule de chrétiens qui ne seront pas sauvés parce qu’ils refusent son invitation d’aller aux noces de Jésus au ciel!  Cela confirme bien la doctrine donnée dans la parabole du semeur où il n’est pas du tout question de péché et où pourtant la parole de Dieu est étouffée.  Est-ce que ces paraboles ne suffisent pas pour montrer que la masse des prêtres dans le monde entier sont de travers avec le plan de Dieu.  Ce n’est pas vrai que ce plan soit de choisir entre les choses permises et les défendues!  Ce n’est pas vrai!  C’est faux!  et c’est à peu près la doctrine de tous les prêtres du monde.  Ce n’est pas vrai!  C’est faux!  que ce soit le plan de Dieu.  Il est évident qu’on doit éviter les choses défendues, mais ce n’est qu’une partie infime du plan divin pour nous sauver.  Dans tous ces exemples que Jésus lui-même donne, il n’y a pas une seule chose défendue… et pourtant ces gens sont damnés!  Ils n’entrent pas au ciel!  On peut éviter toutes les choses défendues individuellement et se damner!… comme ces gens qui mettent leur amour dans les échantillons plutôt qu’en Dieu.  Encore une fois c’est cette maudite philosophie qui pervertit le jugement du clergé.  Dans ce monde absolument païen des «in se», même quand on considère la Trinité «in se», c’est du paganisme tout pur.  Eh bien dans ce monde païen de cette philosophie, il n’y a que ce plan d’éviter le défendu et l’on peut se donner de bon coeur à ce qui est permis.  Mais, en théologie ou dans la religion surnaturelle de la foi, qui considère tout en Dieu qui est amour, ce n’est plus vrai qu’il suffise d’éviter le défendu et qu’on peut jouir tant qu’on veut du permis.  Ce n’est pas vrai!  Car les choses permises peuvent captiver le coeur de l’homme comme les défendues et quand le coeur est captivé par les choses permises, il transgresse le premier commandement et pour cela il sera damné… sans aucun péché peut-être dans un acte isolé.  Son péché s’étendra dans toute sa vie.  Un manque d’amour ne se manifeste pas seulement par un coup de revolver, mais dans chaque mille petits riens, qui sont aussi efficaces dans l’ensemble pour tuer l’amour que le coup de revolver.

C’est autant par le sacrifice des choses permises qu’on achète son ciel ou qu’on le récolte que par les défendues.  Les philosophes mettent la division entre les choses permises et les créatures défendues tandis que les vrais théologiens la mettent entre les créatures et le Créateur.  Toutes les créatures sans exception sont des moyens pour arriver à Dieu.  Or on ne s’attache pas au moyen, mais à la fin.  Devant Dieu c’est absolument bête de séparer les créatures en deux comme plan total pour satisfaire Dieu.  C’est faux!  St-Paul ne dit pas que seules les créatures défendues sont du fumier pour gagner Jésus-Christ, mais il dit: Toutes choses.  Les philosophesprêtres disent: Toutes choses défendues!  C’est là qu’ils dérapent de la vraie doctrine de Jésus!… Jamais Jésus n’a fait cette distinction entre les permises et les défendues, mais toujours il parle de la préférence de Dieu sur toutes les créatures sans exception sur terre.  Les bonnes créatures encore une fois ensorcellent l’esprit et le coeur de l’homme autant que les défendues, comme St-Ignace l’enseigne si clairement dans les deux étendards et Jésus dans tant de paraboles.  Que de bonnes gens n’ont jamais ou rarement le temps de communier souvent, de lire de bons livres, de faire des retraites de suivre les missions et ils ne se croient pas capables parce qu’ils sont pris par leurs affaires et leurs amusements parfaitement légitimes.  Mais graduellement les soucis des choses humaines absorbent tellement leur esprit et leur coeur qu’ils négligent leurs devoirs religieux de plus en plus jusqu’à perdre leur âme.  Jésus dit: Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme?  insinuant que c’est justement en accaparant les biens de ce monde avec amour on vient à perdre l’amour de Dieu et à perdre son âme.  Que de fois on entend dire par nos chrétiens quand on les invite à un acte religieux: Je n’ai pas le temps.  C’est la même réponse des invités dans les paraboles de Jésus et il dit qu’ils sont rejetés des noces au ciel.  Donc cela arrive et très souvent puisque Jésus en parle si souvent et pour des choses permises.  Est-ce qu’on trouve du temps pour visiter une famille qu’on n’aime pas?  Non.  On trouve toujours des prétextes pour s’en exempter.  Eh bien, ceux qui ont toutes sortes de prétextes pour s’exempter des choses de la religion montrent que leur coeur n’est pas là du tout.  On réserve le meilleur de son temps à ce qu’on aime.  Quand donc le temps se passe aux choses du monde, c’est donc que le coeur est là et pas en Dieu.  Ces gens ne seront pas sauvés même si on ne voit pas un péché mortel dans un acte individuel.  Le mortel s’étend sur toute la vie.  La conclusion de cette parabole est donc celleci: On peut être exclus des noces de Jésus au ciel pour toute une série d’actes bons et légitimes posés individuellement mais qui peuvent absorber le coeur tellement que le péché mortel s’étende sur toute la série sans paraître, sans être dans aucun en particulier!  Que les prêtres sortent donc de la morale païenne fournie par leur philosophie naturelle ou [qu’ils acceptent] la seule règle de la vraie théologie qui veut que tout notre coeur soit à Dieu et pas du tout aux créatures permises ou défendues.  Qu’on mette Dieu d’un côté et absolument toutes les créatures visibles de l’autre.  Voilà la séparation que l’amour de Dieu exige pour nous donner le ciel.  Toutes les créatures sont du «fumier» pas seulement les défendues!  Est-ce clair?

Est-ce compris une bonne fois!  Va-t-on nous laisser la paix avec ces expressions de païens: ce n’est pas défendu!  c’est permis!  Cela ne règle absolument rien selon le plan de Dieu.  Celui qui est dans le plan divin se dit: est-ce que je veux acheter le ciel?  est-ce que je veux le récolter?  Eh bien!  n’importe quelle créature permise peut servir à cela.  Et là cette distinction entre permises ou défendues ne vaut rien.  C’est pour cela que Jésus n’en parle pas.  C’est évident qu’il faut éviter les choses défendues.  St-Paul le dit clairement que les adultères, les fornicateurs, les ivrognes, etc.  n’entreront jamais dans le ciel.  Mais cela ne veut pas dire que si on n’est pas adultère etc.  on entre immédiatement dans le ciel; ce n’est pas vrai.  Il faut en plus préférer Dieu à toutes les choses du monde, donc un chrétien n’a pas le droit de s’attacher à des choses permises, et il peut se damner en le faisant.  Voilà ce que Jésus enseigne dans ces paraboles-ci et si souvent ailleurs.
les dix vierges Voici encore une parabole qui confirme la doctrine donnée dans les invités au festin.  On va voir la justice s’exercer sur cinq entre les dix, sur la moitié donc, et pas un seul péché dans un acte isolé!  Prenons tout de suite le cas des cinq folles.  Elles étaient bonnes, étaient vierges, voulaient aller aux noces, suivaient les autres, avaient fait beaucoup pour être prêtes; il leur manquait de l’huile seulement.  Comme tous les négligents, elles se sont dit: nous en trouverons bien en temps et lieu!  Il nous en faut, mais nous verrons plus tard… Le signal donné, elles veulent allumer leurs lampes et s’aperçoivent qu’elles n’ont plus d’huile.  Elles essaient de s’en procurer de leurs compagnes, qui leur disent d’aller s’en chercher.  Pendant qu’elles y vont, l’époux arrive; celles qui étaient prêtes entrent, les portes sont fermées.  Quand les vierges folles arrivent, l’époux ne veut pas leur ouvrir et leur dit: «Je ne vous connais pas.  Veillez donc parce que vous ne savez ni le jour ni l’heure…» Là évidemment est leur péché.  C’est dans ces dernières paroles qu’est la leçon de la parabole: Dieu veut que nous préférions le ciel à absolument tout au monde, comme il le dit dans la parabole de la perle précieuse… pas seulement les défendues!  Les folles avaient été formées par des philosophes du temps; elles se sont dit: ce n’est pas péché de ne pas avoir d’huile dans sa lampe.  Les sages avaient été formées par de vrais théologiens.  Il faut préférer ces noces à tout!  Il ne faut rien risquer!  A tout prix il faut être là, donc voyons à tout, tout de suite!  L’insistance de Dieu à ce que nous soyons prêts quand il nous donnera le signal de la mort est pour que nous montrions notre amour qui n’hésite jamais, ne lambine pas et ne prend pas de risques!  Tandis que lorsqu’on n’aime pas une chose on ne se met pas bien en peine pour se la procurer, on prend des risques parce qu’on n’y tient pas.  Ceux donc qui prennent des risques pour le ciel, montrent leur peu d’amour pour Dieu et donc risquent leur salut éternel.

L’époux n’a pas voulu accepter toute cette préparation hâtive après le signal donné.  Pourtant elles étaient sincères, elles voulaient vraiment aller aux noces, elles attendaient avec les autres vierges, mais parce qu’elles avaient pris un risque sur un point essentiel pour leurs lampes, elles ont été exclues des noces.

C’est donc là le cas d’un grand nombre de chrétiens qui sont bons, qui sont sincères et qui veulent aller au ciel et qui prennent certains moyens… et qui seront exclus du ciel pour leur insouciance ou négligence sur quelque point important. 

Du moment que par leur vie ils montrent qu’ils ne préfèrent pas Dieu à toutes les choses du monde, ils prennent des risques et sont aussi fous que les vierges folles.  D’après les Pères, l’huile est la foi.  Or combien de chrétiens suivent les autres à la messe, dans les missions communient et prient et qui ne seront pas sauvés, parce qu’ils ne vivent pas de foi, ne se laissent pas guider par le St-Esprit, mais par leur bon sens humain.  D’après Jésus, il y a donc des chrétiens qui font comme les autres extérieurement, mais qui ne le font pas: «par esprit de foi», mais pour faire comme les autres et pour des motifs humains; ces gens n’ont pas d’huile dans leur lampe!  Ils attendent à leur dernière maladie pour tout régler.  Ils prennent un risque, donc ils n’aiment pas Dieu par-dessus toutes choses, donc risquent leur salut.  Tous ceux qui pèchent mortellement, même rarement, doivent craindre, car Jésus dit que puisque leur maison tombe c’est donc qu’elle est bâtie sur le sable, or le sable c’est le naturel dans les motifs.  Ces gens mènent une vie païenne dans leurs motifs; ils n’ont donc pas d’huile dans leurs lampes; ils risquent leur salut et seront avec les vierges folles… ce sont des fous!

Quel dommage que les missionnaires et les prédicateurs ne méditent pas plus sur ces paraboles de la justice divine!  Combien laissent entendre que c’est facile et évidemment commun qu’on soit sauvé à la dernière minute.  Ils l’ont tellement prêché que les chrétiens en grand nombre attendent l’heure de la mort pour gagner le ciel.  A les entendre, un signe de croix, une bonne pensée, une absolution, une Extrême Onction, la visite du prêtre… et notre homme est sauvé!

Tout ce qu’on peut dire, c’est possible à Dieu de faire cela.  Mais de quel droit dit-on que c’est facile et fréquent?  Ce sont des philosophes qui parlent de la sorte.  «En soi», tout cela, est possible, Mais dans les hommes en chair et en os, ce n’est pas vrai qu’on change son coeur ainsi en un instant.  Que ces missionnaires essaient donc leur recette facile tout de suite.  Qu’ils abordent un adultère sur la rue et qu’ils lui disent qu’il suffit d’abandonner sa maîtresse pour aimer Dieu et il est sauvé à l’instant!  Qu’ils disent donc aux ivrognes qu’il suffit d’une bonne pensée pour abandonner la boisson!  Qu’il suffit d’un acte de volonté pour faire ses Pâques!  Qu’ils disent à un habitudinaire qu’il suffit de dire un Ave et qu’il est converti!  Allez-y donc avec vos recettes magiques et le bon Dieu qui peut tout.  Il faut être nigaud pour croire que changer sa fin dernière est chose facile.  Ce n’est pas plus facile à l’heure de la mort que pendant la vie.  On peut crier: Seigneur, Seigneur!  On peut être sincère, mais rien de cela n’est l’amour de Dieu qui sauve.  Judas était sincère, il a regretté amèrement son crime… et il n’a pas été sauvé.

Evidemment, rendu au chevet d’un mourant, faisons tout pour essayer de le sauver.  Mais c’est ridicule de prêcher ces recettes magiques comme tant de prédicateurs le font.  Ces paraboles de Jésus que nous étudions ici donnent le démenti à ces recettes fameuses comme étant faciles et fréquentes.  Encore une fois que ces philosophes essaient donc tout de suite leur recette sur les pécheurs.  Essayez votre acte de contrition qu’il suffit de dire pour être transformé en ange, de démon qu’on était.  Est-ce que ces prédicateurs de la dernière heure veulent faire mentir Jésus qui prêche sur tous les tons de ne pas attendre à la dernière heure, mais de toujours être prêt.  Voilà ce que des prédicateurs théologiens prêchent.  Ils considèrent les choses non pas dans l’abstrait où tout peut être facile, mais ils les considèrent dans le coeur de l’homme et avec les exigences de l’amour de Dieu… et l’homme n’est pas une masse de chair et de passions faciles à changer en ange céleste. 

Le péché n’est pas seulement une désobéissance, c’est un amour de préférence de la créature sur Dieu.  Pour se convertir il faut préférer Dieu aux créatures.  Or, ce n’est pas vrai qu’il soit facile de changer son amour dans le concret et pratique de la vie.  S’il est si facile d’aimer Dieu à la mort, que ces prédicateurs le fassent donc aimer tout de suite!  Ça a tant de bon sens de préférer Dieu aux créatures!  Il suffit de le vouloir… eh bien, faites-le donc vouloir par tous les mondains et par tous les pécheurs!  La seule recette sûre c’est de se tenir prêt à paraître devant Dieu… et c’est celle-là que tout prêtre devrait prêcher au peuple.  Dans les deux paraboles que nous venons de voir, la justice divine s’exerce autant que la miséricorde… et c’est ce qu’il faut mettre dans la tête des prêtres: que Dieu est aussi juste qu’il est bon.  Que si la miséricorde est infinie en elle-même, elle peut être limitée en nous à cause de nos mauvaises dispositions et que le cas arrive fréquemment, assez fréquent pour que les prêtres aient le devoir d’avertir les fidèles des châtiments qui les attend s’ils ne sont pas prêts au signal donné à la fin de la vie… et que leur préparation hâtive peut bien ne pas être acceptée comme celle des vierges folles.

les talents.  Encore une parabole où Dieu, non seulement récompense, mais punit et très sévèrement.  «Serviteur méchant et paresseux, vous saviez que je moissonne où je n’ai pas semé et que je recueille où je n’ai rien mis, vous deviez donc placer mon argent entre les mains des banquiers et à mon retour j’aurais reçu avec usure ce qui est à moi.  Ôtez-lui donc le talent qu’il a et donnez-le à celui qui en a dix, car on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais pour celui qui n’a point on lui ôtera même ce qu’il semble avoir.  Jetez ce serviteur dans les ténèbres extérieures, c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents.» Encore une cause de damnation qui n’apparaît pas dans un acte isolé.  Ce serviteur n’a fait aucun mal, aucun péché mortel dans un acte individuel et il est jeté dans les ténèbres extérieures où il y a des pleurs et des grincements de dents!  Cette doctrine est sûrement vraie dans l’ordre surnaturel.  Ceux qui ne font pas fructifier les lumières reçues et les grâces peuvent être châtiés bien sévèrement par Dieu.  Ces paresseux spirituels peuvent être damnés d’après cette parabole.  Et Jésus ne la donne pas pour quelques cas isolés.  C’est donc que cela arrive assez souvent, les prêtres doivent donc donner cette doctrine aux fidèles.  Ces paresseux spirituels peuvent être affairés au point de vue temporel.  Peu importe comment ils perdent leur temps, s’ils ne travaillent pas pour leur vie spirituelle, ils risquent leur salut.  Par exemple, la grâce sanctifiante est un fameux talent que Dieu nous confie pour nous permettre d’agir divinement par des motifs surnaturels.  Ceux qui se contentent d’essayer de la garder comme simple ornement ou comme billet pour le ciel, seront sévèrement punis pour ne pas s’en être mieux servis.

Ceux qui ont une Bible et ne la lisent pas ou qui négligent de s’en procurer, ou n’étudient pas la vie spirituelle dans les auteurs et dans la vie des saints quand ils pourraient le faire, rendront un compte à Dieu de leur négligence.  Combien profitent du don de l’Eucharistie, des autres sacrements?  Combien agissent selon la foi que Dieu leur a donnée?  Une foule de négligences de cette sorte peuvent attirer de grands châtiments sur ces coupables.  Le serviteur paresseux et appelé méchant serviteur, pourtant quel mal a-t-il fait?  Aucun en acte individuel.  Jésus nous avertit qu’on demandera beaucoup à qui on aura donné beaucoup.  Les prêtres et les religieux ont besoin de surveiller les lumières que Dieu leur a données et les grâces pour faire le plus de bien possible autour d’eux et en euxmêmes!  Cela est vrai aussi dans l’ordre temporel.  Par amour pour Dieu que chacun essaie de développer le ou les talents que Dieu lui a donnés.  Que les cultivateurs, par exemple, fassent tout ce qu’ils peuvent pour améliorer leur culture et leur ferme, leur moisson et leurs troupeaux, etc.  pas pour s’enrichir ou par orgueil, mais par respect pour l’intelligence que Dieu leur a donnée et ainsi par respect pour Dieu.  Mais que de nigauds et de paresseux dans toutes les branches de l’activité humaine!  Combien n’améliorent rien autour d’eux!  Pour cacher leur paresse et leur peu d’esprit, ils se font les champions des traditions; cela les dispense de rien changer et donc de tout effort.  Ils occupent simplement la place et ne produisent rien ni pour les autres ni pour Dieu.  Que de routines dans les deux clergés sur la manière de faire le ministère ou d’enseigner ou de prêcher.  Que chacun prenne donc quelques minutes chaque soir pour faire un examen sur ce qu’il pourrait améliorer pour le bien des âmes et la gloire de Dieu.  Qu’il prie surtout le StEsprit afin d’être éclairé sur ce qu’il pourrait faire pour donner un meilleur rendement dans tous les domaines où s’exerce son activité.  le mauvais riche.  «Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de fin lin, qui festoyait tous les jours.  Il y avait aussi un pauvre, nommé Lazare, couvert d’ulcères, couché à sa porte, désireux de se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche; même les chiens venaient lui lécher les ulcères.  Or il advient que le pauvre mourut et fut transporté par les anges au sein d’Abraham.  Le riche aussi mourut et fut enseveli dans l’enfer.  Et dans l’enfer, ayant levé les yeux tandis qu’il était dans les tourments, il aperçut de loin Abraham et Lazare dans son sein; il s’écria en disant: Père Abraham, ayez pitié de moi, et envoyez Lazare afin qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté dans cette flamme…» Voilà toujours bien un autre cas où la justice divine s’est exercée et personne ne peut mettre le doigt sur une seule de ses actions individuelles qui soit mortelle.  Les philosophes verraient là un beau cas pour la miséricorde!  Mais Jésus dit que c’est la justice divine qui le condamne à l’enfer.  Tous les prédicateurs de la seule miséricorde, venez examiner ce cas qui contredit votre prédication de la miséricorde divine!  S’il avait été adultère ou assassin, Abraham le lui reprocherait.  Mais tout ce qu’il lui dit est ceci: «Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu des biens pendant ta vie et pareillement Lazare des maux, et maintenant il est consolé tandis que toi tu es dans les tourments.»

Ce que nos prêtres-philosophes considèrent comme une bénédiction, la richesse, Abraham dit que c’est pour cela que le riche est damné!  Ils sont donc de travers dans toute leur formation avec Abraham au ciel… et les pauvres qu’ils fuient en général ou qu’ils négligent sont au ciel!  Qu’on demande à nos philosophes: est-ce un péché mortel de festoyer aujourd’hui?  de s’habiller de fin lin?  demain, est-ce un péché mortel de festoyer encore?  Pas un prêtre-philosophe ne blâmerait un chrétien qui vivrait comme cela; au contraire, il le féliciterait, il le cultiverait le plus possible pour être invité à ses banquets, fumer ses bons gros cigares et boire ses vins exquis et jouer aux cartes toute la nuit… et si je lui montrais mon étonnement, il me dirait tout de suite: Il n’y a pas de mal à cela, mon Père.  Que de chrétiens vont donc se damner avec la majorité des prêtres qui les approuvent, qui les imitent!  Que de prêtres vivent exactement comme le riche!  Quand les prêtres vont-ils comprendre cette doctrine du péché mortel s’étendant sur toute une vie et pas du tout dans un acte individuel?  StThomas définit le péché mortel: se détourner de Dieu et donner son amour aux créatures.  Il n’y a pas de doute que cela peut se faire dans un acte isolé, par exemple, délibérément je tue un homme ou j’apostasie aujourd’hui par un acte formel de ma volonté.  Mais il y a aussi des péchés mortels d’état où l’on entre là graduellement.  Est-ce qu’il n’arrive pas souvent qu’un mari s’amourache d’une fille au point de ne plus aimer sa femme et sans avoir péché avec cette personne?  On peut faire de même pour Dieu.  A force de fréquenter le monde ou de prendre part à ses plaisirs permis, on peut être captivé assez qu’on n’aime plus Dieu et qu’on néglige ses devoirs envers Dieu.  C’est le cas du riche de l’Evangile et il y en a par milliers dans le monde.  Voyons comment un homme vient à être passionné pour une joute ou un sport quelconque.  Les premières fois il reste bien calme, mais à mesure qu’il comprend mieux le jeu, il s’enthousiasme, se passionne et le voilà tout pris au jeu.  Lui-même ne pourrait pas dire à quelle partie il est devenu passionné; mais il est certain qu’il l’est actuellement.  On peut raisonner de même pour tous les plaisirs permis au monde et donc qui peuvent damner un homme à la longue.  Si on dit que c’est parce qu’il refusait de donner à Lazare, je réponds que ce n’était pas nécessaire qu’il se dise un jour: jamais je ne donnerai à ce pauvre, pour que ce soit mortel.  Il l’a refusé comme on le fait ordinairement.  Un pauvre demande à manger et on lui refuse une beurrée, qui dira que c’est mortel?  Puis on refuse une deuxième beurrée, une troisième, etc.  Personne ne peut dire exactement à quelle beurrée refusée est le péché mortel… et le riche est damné pour ces refus successifs.

Ce riche ne s’est pas servi des créatures pour acheter le créateur ni pour le récolter selon le plan divin donné par Jésus plusieurs fois, ce qui montre que son amour était dans les échantillons et non pas en Dieu, voilà pourquoi il est damné… et cela n’apparaît pas nécessairement dans un seul acte mais dans toute sa vie.  Au dernier jugement Jésus dira aux damnés: «Chaque fois que vous avez refusé un verre d’eau, c’est à moi que vous l’avez refusé.» Cela ne veut pas dire qu’un refus de ce genre soit mortel, mais c’est à cause de tous ces refus qu’ils sont damnés et pourtant pas un n’est mortel.  Les prêtresphilosophes peuvent-ils dire le contraire?  Devant ces faits donnés par Jésus lui-même.  Pas un acte isolé signalé par Jésus n’est mortel et ils sont condamnés quand même.  Et dans le jugement dernier tel que donné par Jésus, il n’y a pas un seul péché mortel dans un acte individuel, qui est mentionné, mais seulement ce qui damne dans l’ensemble.  S’il n’y avait que l’adultère ou le meurtre et des péchés de ce genre qui damnaient, c’était le temps de le dire.  Mais non, C’est comme si Jésus disait: Vous savez que ces crimes damnent, mais il y en a une foule d’autres que vous ne savez pas et que vous devriez savoir et ce sont ceux qu’il donne là et qui s’étendent sur toute la vie et pas dans un acte isolé nécessairement.  Encore une fois ces sortes de péchés n’existent que contre l’amour ordinairement et leur philosophie ne s’étend pas jusque là avec leur «in se» abstrait.  C’est pour cela que tant de prêtres formés à l’esprit philosophique de la religion ont de la peine à admettre ces péchés qui n’apparaissent pas dans un seul acte isolé, mais dans l’ensemble d’une mentalité et donc d’un amour.  Peu importe comment on y est arrivé, du moment qu’on préfère les échantillons à Dieu, notre salut éternel est réglé!  On est damné même si on n’est pas adultère ou assassin ou ivrogne, etc…
Que de chrétiens sont à plaindre avec ce que leur disent les prêtres-philosophes qui approuvent toutes ces vies condamnées par Jésus dans ces paraboles de la justice.  Que de prêtres aussi seront navrés au jugement d’avoir été de travers avec la mentalité de Jésus et avec l’amour de Jésus… et qui ont passé leur vie à fendre les cheveux en quatre, et à ergoter sur ce qui est permis ou ce qui est défendu, jusqu’où on peut aller sans péché mortel, etc., en un mot qui auront fait les pharisiens et auront tué l’amour incarné comme les pharisiens ont tué Jésus.  Ces quatre paraboles de la justice divine avec la même doctrine donnée à plusieurs endroits par Jésus devraient ouvrir les yeux des philosophes sur les actes in se, qui ne constituent pas la seule morale des chrétiens, mais que les péchés de mentalité damnent autant que les actes individuels et ils devraient en parler au peuple.  Combien imitent exactement la vie du riche qui est condamné à l’enfer!  Combien de prêtres et de religieux font de même!  Quelle déception quand ils arriveront au jugement!  Espérons aussi que les prédicateurs de la seule miséricorde vont changer leur doctrine!  Il faut parler autant de la justice divine et menacer tous ceux qui pêchent encore de la justice et quand ils reviennent à Dieu alors seulement on leur parle de miséricorde.  Voilà une doctrine dont tous les prêtres ont besoin, en général.